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MA VIE C'EST UN PEU ÇA !

LES PASSAGERS DE LA CATHÉDRALE

11 Février 2023, 19:09pm

Publié par Guillaume

LES PASSAGERS DE LA CATHÉDRALE

Cet après-midi je suis repassé par cet endroit que j’aime tant à Montpellier. Probablement mon premier choc visuel dans cette ville il y a plus de 30 ans. Je m’y suis arrêté. Parce qu'il m'est impossible ou presque de passer à côté d'une église sans y entrer. J’ai toujours aimé ça. Sorte de fascination pour ces parenthèses. Ne me demandez pas pourquoi, je n’aurais pas forcément la réponse que vous attendez ou mes mots ne traduiraient pas bien mes intentions.

Juste un élément peut-être. Le calme déjà. Le silence. La fois où ce détail m'avait sauté aux oreilles c'était à Paris. Dans l'église Saint-Anne de la Butte aux Cailles (13ème arr). Je sortais d'un train gare de Lyon, guitare sur le dos. Quelques pas en direction de la ligne 5. Le bruit, le mouvement. Place d'Italie je me suis dit qu'un café en terrasse serait agréable pour me poser, mais rapidement une sensation d'oppression s'est emparée de mes poumons. Un tourbillon visuel et sonore était en train de m'envahir. Alors je me suis réfugié, oui c'est le mot, dans ce lieu de culte à quelques centaines de mètres. Et ce que j'avais déjà perçu ailleurs dans n'importe quelle commune prenait à cet instant des proportions gigantesques. Une fois passé les portes : le calme. Le vrai. L'apaisement. Je me suis surpris à respirer, à apprécier ces va-et-vient lents et spontanés. Quel contraste ! D'un seul coup c'était comme si on mettait un casque anti-bruits. La rue et son agitation à quelques mètres seulement, et là, au milieu de ces pierres, la sérénité. Ouf... J'y suis resté une petite heure, carrément. Avec ce constat qu'il ne restait plus guère que ces endroits pour faire taire nos bouches agitées, faire attention à l'autre. Quelques années plus tard, ma théorie s'effondrerait (de très, très haut) au Vatican. Oui, carrément ! Je m'attendais à une sorte d'euphorie silencieuse dans la Chapelle Sixtine : il n'en fut rien ! J'aurais aimé vous écrire que ce bordel était magnifique, mais non. En plus j'avais payé pour subir ça ! Mais revenons dans l'Hérault, dans cette cathédrale Saint-Pierre.

Je me suis assis vers le milieu de ce monument. Et j'y suis resté plus longtemps que prévu. Le temps de penser, de regarder, d'observer. Beaucoup. D'écouter aussi.

J’avais sur les oreilles la bande originale du film Les amandiers (magnifique, bouleversant) contenant quelques pépites classiques qui se mariaient très bien avec ces murs du XIVème siècle.

Puis sans prévenir, un énorme son est arrivé ! Envahissant tout l'espace. J’ai enlevé mes écouteurs : les Grandes Orgues venaient de se mettre en route ! Pas toutes seules je pense, mais c’est vrai qu’avec cet instrument on a un peu l’impression d’une musique fantôme qui déboule, autonome. Quelle puissance !

C'est à ce moment-là que j’ai commencé à observer mes semblables.

La première qui m’a attiré l’oeil ? Une femme surprise par ces notes assez saisissantes je dois le reconnaître. Elle s’est retournée vers l’instrument et a immédiatement sorti son téléphone pour filmer ou prendre une photo de tous ces tubes. Et là je me suis dit « que restera-t-il sur ces images ? En vidéo, les tubes bougent peu… et même si derrière y’a un musicien virtuose, le film restera assez statique vu d’en bas… non ? Et au niveau prise de son on aurait mieux en 2 clics... » Bref, il est incroyable ce geste quand on y pense, ce réflexe compulsif contemporain. Filmer au lieu de s’asseoir et d’écouter. En tout cas, les organistes ont le triomphe modeste. Ils ou elles sont caché.e.s.

J’ai alors commencé à scruter tous les déplacements. Je devenais un aventurier à la Sylvain Tesson dans « La panthère des neiges ». L’affût. Rester statique et attendre qu’il se passe quelque chose devant soi. Avec pour moi le gros avantage d’être confortablement assis, un concert gratos dans les oreilles, sans me geler les … enfin vous voyez, quoi.

C’est vrai que la patience et l’attente ont pas mal de vertus. 

Y’avait 2 catégories de gens dans cette cathédrale : celles et ceux qui osaient l’allée centrale, même pas peur, puis les autres. De la famille « des qui contournent », qui osent parfois quelques pas puis repartent sur les côtés… C’était beau à voir. Presque une chorégraphie. Ça m’a fait penser à ce superbe film d’Emmanuel Mouret, « Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait », une scène avec Camélia Jordana et Niels Schneider dans un cloître (le lien n’est à priori pas si évident, mais à cet instant l'image me vient...).

Puis comme dans un conte où le héros doit réussir trois épreuves, je me suis laissé le temps de trois passages dans cette allée centrale. Voir ce que le hasard allait me proposer, m'offrir.

Les 2 premiers à assumer cette allée de bout en bout ressemblaient à un couple. Proches physiquement dans leur façon de marcher. Et je me disais « pourquoi elle lui prend pas la main ? Si, si, lui il va le faire ! » Puis non. Dommage. Ça aurait été beau le contact.

Ensuite est passé un jeune homme. Sac à dos, look un peu roots. Et quelques secondes après une jeune femme avec un appareil photo. Un vrai. Qui s’arrêtait de temps en temps pour faire des clichés. Je la trouvais magnifique. Et je la devinais puisque je n'avais vu que son dos et son lointain profil. C'est bien d'imaginer. J’avais très envie de la prendre en photo mais il m’aurait fallu sortir de ma cachette qui n’en était pas une et en plus elle aurait probablement été gênée qu’on la prenne en photo en train de photographier. C’est seulement quand elle est arrivée devant l’autel que j’ai compris. Le garçon l’attendait. Eux non plus ne se sont pas touchés. Ni embrassés. Je me disais « à sa place je crois que ce serait un joli moment pour le faire… » Puis non. Ils sont repartis sur les côtés.

C’est alors que 2 filles sont arrivées à ma hauteur. Entre 2 morceaux d’orgue. Et lorsqu’elles ont entendu la musique grandiose, l’une des deux l’a joué marche nuptiale dans cette allée centrale, en prenant son amie ou sa copine par le bras. C’était beau. Plein de spontanéité. De vie. Alors j’ai souri. J’avais presque envie d’aller les serrer pour les remercier de cet élan poétique !

Puis là, un gars a déboulé ! Pas du tout le profil cathédrale Saint-Pierre ! Le genre qui prend toute l’allée à lui tout seul en marmonnant dans une moustache qu’il n’avait pas. Le pas très prononcé, physique imposant, avec un balancement de gauche à droite puis l’inverse,  jambes arquées, presque un personnage de film. Sac plastique à la main. Inquiétant. Ambiance "Le Nom de la Rose". Bref « mais qu’est ce qu’il fout là lui ? Et surtout il va où avec ce pas si décidé ? » 

J’aperçois alors dans sa main droite des clés. 

Forcément mon regard le suivait au maximum et là, je découvre qu’il faisait partie du décor. Tout au bout, il s'est engouffré dans les coulisses de la Cathédrale. En est ressorti quelques minutes plus tard encore moins bien fagoté qu’à l’aller. Mais avec le même air inquiétant.

Bref, la vie reste un mystère. Et ce gars que je voulais presque plaquer au sol pendant sa première traversée n’était probablement qu’un rouage essentiel dans ce lieu de culte. L’habit ne fait pas le moine c'est ça ?

Avant de m'asseoir sur ces bancs, j’avais forcément la mort qui rôdait dans ma tête (1). Puis j’ai regardé les gens autour de moi. Et  j’ai souri. À la vie.

En sortant, j'ai poursuivi mon voyage pédestre. Qui m'a pris par la main pour m'emmener vers cette jolie brocante de livres sous les arbres de l’esplanade Charles-de-Gaulle. Et là, parmi tous ces titres qui me parlaient, me troublaient, il y avait celui-ci de Guy Bedos : « Inconsolable et gai ». Ça résume pas mal la situation. Ma vie aussi finalement.

Et à chaque fois que je vois des bouquinistes, je suis dans ce « Quatrième de couverture » de Vincent Delerm. Évidemment. Bijou de romantisme quai de Seine !

Ma vie est peut-être un film ou un livre. Ou une chanson.

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(1) Ce jour-là j'avais une excuse pour de telles pensées. L'ami Philippe Soulié s'était écroulé au milieu de son salon 5 jours plus tôt... À lire par ici : 23h16 - PHILIPPE

Je ne pense jamais à Dieu quand j'entre dans une cathédrale. J'y entre pour sentir la vieille main amicale du froid sur mon épaule. J'essaie à chaque fois de voir les morts qui ont élevé tout ça et qui aujourd'hui ne pourraient même pas soulever un flocon de neige. Je ne vois que les bougies réunies en concile. Un peu de cire et d'or perdu, un trésor d'enfant avec des tonnes de pierres le protégeant. Je marche dans la nef comme dans un crâne de nouveau-né où tout est calme et aux aguets.

© Christian BOBIN - L'homme-joie - 2012

L'un des morceaux de la B.O. du film LES AMANDIERS. Je suis fan de ce tourbillon de notes qui me fait voyager...

Je vous laisse avec ce voyage, cette rencontre...

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