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MA VIE C'EST UN PEU ÇA !

TU VAS BIEN ? 

25 Février 2023, 15:16pm

Publié par Guillaume

Aujourd’hui j’ai trouvé cette description dans un livre. Nous sommes en 1913, au Grand Hôtel de Cabourg : Marcel Proust a pris cinq chambres, une pour y loger, les quatre autres pour que le silence règne.

© Semezdin MEHMEDINOVIĆ - Le matin où j'aurais dû mourir

© Arkane - www.arkane-art.com - Photo prise sur un mur le long du Lez. Magnifique.

© Arkane - www.arkane-art.com - Photo prise sur un mur le long du Lez. Magnifique.

Tu vas bien ?

Oh la la cette question ! Suivant comment elle est posée, l'intonation, le regard, l'insistance, elle peut prendre des proportions immenses !

Vous avez remarqué que dans vos périodes d’activité intense, de mouvement perpétuel, quand vous répondez oui à la question, c’est des plus convaincant ? Comme si aller bien était proportionnel au remplissage de l’agenda. On a des choses à faire. « Ça a l’air top pour toi en ce moment ! T’as plein de projets ! » L’air oui. Et si en plus ces projets sont publics, que votre activité est d'un genre artistique, alors là, ce bien être est associé à une vitrine qui se montrera avec le temps de plus en plus dangereuse. Funambulesque. 

En revanche, si le oui ça va est prolongé par l'idée que vous souhaitez être seul, tranquille, hiberner, réfléchir à un éventuel changement de vie, ou pas, rêver, lire, écrire, penser à rien autant que faire se peut, mais en tout cas s’isoler (terme qui a plusieurs sens et à cet instant je l’entends comme l’isolation phonique d’une maison ou d’un appartement, ne pas être dérangé par le bruit des autres), ça devient suspect. Très suspect. Voire obscène. Le oui ne suffit plus. « Mais t’es sûr que ça va ? » Ben… maintenant que tu m'le dis et si tu m'poses encore une paire de fois la question tu vas me mettre le doute en effet.

La dépression rôde... Ouh la la... Et c'est terrible de voir dans le regard des autres ce que vous n'avez pas dans la tête. Vous pourrez vous débattre dans tous les sens, avoir les plus beaux arguments accompagnés d'un sourire sincère, la suspicion l'emportera. L'impression d'avoir la lumière dans la gueule derrière une table. Comme dans une série avec les flics qui t'interrogent ! Et s'ils sont persuadés de ta culpabilité l'interrogatoire avec Starsky et Hutch sera compliqué. Là c'est pareil impossible de démontrer qu'une solitude peut être salutaire et non dangereuse. Le combat est perdu d'avance. 

Pas simple d’être soi et de l’assumer. Presque un combat permanent. Jamais mentir on aimerait. La vérité toujours. Mais faut se rendre à l'évidence sociale : le mensonge est nécessaire. Presque vital.

Se justifier fait partie des choses les plus insupportables qui soient. Réussir à contrer l’intrusion. La repousser. Tu annonces à tes hôtes que tu vas partir de ce repas, de cette fête à laquelle tu es venu pour ne vexer personne et ne pas faire une fois de plus ton ours, et on te rétorque : « euh… déjà ? Mais pourquoi ? T’as quoi de plus à faire chez toi ? » Rien de plus, c’est vrai. Si ce n’est me retrouver. Donc oui j’ai un truc à faire, un rendez-vous avec moi. Avec mon repos. Mes silences. Ou pas. Sauf que ça tu le dis pas. Si tu oses dévoiler cette envie de te retrouver tu laisses sous-entendre que leur compagnie ne te convient pas, que tu les fuis. Alors tu mens. Tu inventes une obligation, un mixage à terminer, un mal de tête, un rendez-vous. Tu vas vers l'apaisement. Tu te ranges du côté de l'ordre social. Tu rassures. C'est important de rassurer.

Et si en plus ton activité n’est pas salariée, sujette à des horaires fixes, alors là l'exercice devient très périlleux. La corde sur laquelle tu tentes de rester se fait fil. Faut vraiment apprendre à pas flancher. Parce que l'excuse ne viendra que de toi, de cette liberté indécente. Et si tu oses ce refus d'une soirée, si tu oses ce "non j'ai pas envie, j'ai rien de prévu mais j'ai pas envie" t'es un.e vrai.e rebelle ! Tu t'exposes à un retour de boomerang.

La liberté. Je crois que c'est ça qui énerve. Cette liberté osée et qui eux les déglinguent. En même temps c'est terrible d'entendre que vous n'avez pas besoin des autres pour être bien. D'eux en particulier. La réciproque n'étant probablement pas vraie. Rien à voir avec du désamour ou un quelconque désintérêt, mais quoi que vous fassiez, l'interprétation ira dans ce sens.

En sortant du rang l’abri est difficile à trouver. Les intempéries guettent. Les courants d’air pointent le bout de leur nez. Les envahisseurs aussi.

Heureusement il reste les autrices et les auteurs qui nous consolent. Nous rassurent. On n'est pas seul dans sa solitude. Quand je n'écris pas les miens, de mots, je me réchauffe à ceux des autres. M'y enveloppe. Comme une protection. Une couverture entre le monde et moi. Ma consolation.

Ah oui, j'ai pas répondu à la question. Je me suis amusé à vous perdre dans mes élucubrations. Oh yé ! J'aime me perdre. Petit plaisir jouissif de laisser les mots m'embarquer. Mais je ne vais pas jouer au p'tit malin jusqu'au boutiste en vous laissant le bec dans l'eau avec ce suspense quasi insoutenable. Si je vais bien ? Je vous rappelle que je suis intermittent du spectacle. Je m'en suis fait une religion de l'intermittence. Dans tous les domaines de ma vie. Ai-je besoin d'approfondir ? 

Et je dirais, avec la petite prétention de ne pas trop me tromper, qu'on l'est tous un peu intermittents et intermittentes du Je vais bien. Je n'ai jamais croisé personne exerçant ce métier à temps plein. En vrai je veux dire. Derrière la vitrine.

Puis sans toutes ces variations quel ennui ce serait non ?

Si ça peut vous rassurer, parce que rassurer c'est important je vous le rappelle, mes hauts sont très hauts.

C'est une infirmité que vous avez de ne pouvoir envisager un voyage autrement que comme un détour pour aller de chez vous à chez vous. Très vite, où que ce soit, y compris auprès des gens que vous aimez, vous êtes dans la langueur des murs et des fenêtres de votre solitude. C'est le sommeil qui vous manque, cette somnolence qui vous prend des heures entières dans votre appartement, à ne rien faire, rien lire, rien écrire, et vous ne pouvez raisonnablement pas aller chez des gens pour y disparaître aussitôt dans un repos des yeux, de la parole, de l'âme, vous ne pouvez demander à ceux que vous aimez de supporter une présence aussi faible, presque évanouie.

© Christian BOBIN - L'inespérée - 1994

Si je ne devais garder que 5 chansons du répertoire français, celle-ci en ferait partie...

Les écrivains, ou les artistes en général, sont aussi les seuls casaniers socialement acceptables. Leur claustration volontaire produit un résultat tangible et leur confère un statut prestigieux, respecté. Il faut le bouclier de la renommée pour pouvoir déclarer tranquillement, comme le faisait le poète palestinien Mahmoud Darwich : « J’avoue que j’ai perdu un temps précieux dans les voyages et les relations sociales. Je tiens à présent à m’investir totalement dans ce qui me semble le plus utile, c’est-à-dire l’écriture et la lecture. Sans la solitude je me sens perdu. C’est pourquoi j’y tiens - sans me couper pour autant de la vie, du réel, des gens… Je m’organise de façon à ne pas m’engloutir dans des relations sociales parfois inintéressantes. » (entretiens sur la poésie - actes sud)

© Mona CHOLLET - Chez soi, une odyssée de l'espace domestique

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