MÖNCHENGLADBACH - Épisode 3/3
Le football n'intéresse que les politiciens, les enfants, et les fabricants de ballons.
Sans la lecture de "MÖNCHENGLADBACH - épisode 1 et 2" vous manquerez l'essence même de ce récit... Session de rattrapage sur ces liens : ÉPISODE 1 - ÉPISODE 2
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Les végétations d’abord. Pour l’endormissement. Le rêve absolu. Mon graal. Ce masque sur mon nez, les visages au-dessus qui me parlent en me proposant un compte à rebours. 10, 9, visages flous. 8, 7, extinction des feux. 6, plus rien. Depuis je suis à la recherche de cet outil extraordinaire. Une véritable quête. Quand je vous raconterai mon histoire d’amour avec le sommeil vous comprendrez. Il m’a marqué à vie ce masque. J’en rêve. Uniquement les yeux ouverts. Sinon j’en aurais pas besoin. Si vous en avez un chez vous, je vous envoie mon zéro six dans la minute.
L’appendicite ensuite. J’ai en tête les images de la veille. La veille de la crise. On était à la maison. La famille Renaudin allait arriver. La soirée promettait d’être chouette parce que mon copain Marc, dit Marco, allait venir. Mais la fièvre avait pris ses aises dans l'après-midi. Elle s'était installée tranquillement. Grippe ou angine faisaient partie des hypothèses assez certaines. Mais ça se compliquait. Impossible de faire baisser cette foutue fièvre. Impossible de m'amuser. C'était de pire en pire jusqu’à ces douleurs terribles dans le bas du ventre. Vomissements. J'ai écrit "terribles" mais peut-être qu’elles ne l'étaient pas tant que ça ces crises. C’est l’idée que j’en ai aujourd’hui. Puis j’aime bien penser ça parce que j’ai l’impression d’avoir supporté un truc de dingue, comme les héros dans les films ou les séries qui sont capables de supporter les pires souffrances en serrant les dents. Mes heures Rambo quoi.
Hôpital. Examens. Appendicite. Opération.
Un détail me revient de ce séjour à la polyclinique de Cholet. Y’avait un match de Coupe d’Europe à la télé. Avec un terrain enneigé. Et c’est rare les matchs de foot avec un terrain enneigé à ce point. À un point tel que les marques, habituellement blanches, là il avait fallu creuser pour les voir. Voir du vert. Le stade en mode inversion. Même le ballon avait changé de costume, impossible de garder ses couleurs habituelles. Déguisé en jaune. Mais même avec ce point jaune, sur ce petit écran de télévision à la résolution moyenne et à l’éloignement certain de la tête de lit, dans tout ce blanc c’était très compliqué de suivre le jeu. Et je pourrais presque affirmer que c’était le soir d’après l’opération. Je me souviens d’avoir été en lutte pour suivre le match. En lutte avec ma convalescence et la qualité des images.
Impossible dans mes souvenirs de déterminer avec précision mon âge lors de cette opération. Alors hier soir, j’ai tenté une recherche avec mon ami Google à partir de deux indices : match de Coupe d’Europe avec un club français (à cette époque là il n’y avait aucune retransmission sans un bout de coq sur le maillot, éventuellement les finales, mais rien de plus. Fallait du frenchy quoi) et avec comme adversaire… MÖNCHENGLADBACH ! Le Borussia Mönchengladbach ! Ah ce mot, ce nom ! J’ai toujours adoré. Il me faisait voyager. Avec les joueurs de Mönchengladbach on s’attendait pas à du touriste ah ça non ! Les gladiateurs du foot quoi. C’est fou ce qu’un nom peut provoquer dans l'imaginaire. Moi en tout cas, j’y étais à fond ! En bouche c’était l’extase de l’intense (et ça l'est encore). Faut être lucide pour le prononcer. Après une soirée bière ça peut rapidement se compliquer.
Alors j’ai cherché sur le net quel pouvait être ce match contre ces terribles allemands d'une ville au nom inimitable… et j’ai trouvé ! YESSS ! Saint-Étienne, LES VERTS ! « Qui c’est les plus forts évidemment c’est les verts, on a un bon public et les meilleurs supporters, etc. » Forcément pour chanter ça faut avoir plus de cinquante ans. Je vous parle d’un temps.
Je pouvais enfin dater avec précision cette cicatrice toujours sur mon corps. Petite découpe d’un autre temps. Empreinte en bas à gauche, sur l’aine. Saison 1979/1980, quart de finale, match aller le 5 Mars. Retour 15 jours plus tard en Allemagne. J’avais donc été opéré le 5 ou le 19 Mars 1980. Je venais de résoudre une énigme. Et cette épopée européenne n’était pas du tout celle de la légende pour les stéphanois. La légende des poteaux carrés. Glasgow. 1976. Le Bayern. Loin s’en faut. Une déculottée. Un carnage. Défaite 1-4 à l’aller et 2-0 au retour. Le suspense tué en 20 minutes à Geoffroy-Guichard. Le chaudron humilié*.
J’étais assez content de ma trouvaille. Mais quand même, un détail me chagrinait encore. Parce qu’en fouillant dans ces archives vidéos, aucune trace de neige… Aucune. Ni à l’aller, ni au retour. Ça m’a mis le doute. Et si le temps avait modifié mon souvenir ? Si j’en avais superposé deux ? Alors j’ai tenté d’autres mots dans le moteur de recherche.
Et quand la bonne vidéo s’est affichée, j’ai aussitôt retrouvé l’évidence des images. Je le tenais mon détail ! Du bout des yeux. Sauf que c’était pas du tout des verts les français !!! Du tout ! Ils étaient jaunes. Maillot jaune et short bleu foncé. Les lionceaux. SOCHAUX ! Qui affrontaient bien des allemands mais… FRANCFORT ! Rien à voir avec Mönchengladbach ! Aucune sonorité commune ou presque. Allez savoir pourquoi j’avais identifié ce match avec ce mot ? Seule certitude, l’été dernier en tournée avec Camille, quand on a joué au Festival de Sarrebruck, en apercevant sur les panneaux "Mönchengladbach", je lisais mon enfance. Et mes pensées retournaient instantanément dans cette chambre d’hôpital. Une téléportation vers ce 10 décembre 1980. Huit ans et quelques mois. Et déjà l’amour des mots. Des sons. Et des cours d'écoles pendant lesquelles on donnait presque plus d'importance au nom des joueurs qu'au choix de l'équipe. Processus d'identification qui nous tenait très, très à coeur. J'aurais tué père et mère pour ça. Du moins symboliquement dans un premier temps. Parce que dans cette vie là, celle des récréations, j'ai bien dû être pendant vingt minutes Yannick Stopyra, Michel Platini, Johnny Rep ou Bernard Genghini. C'était pas rien. On jouait. On rêvait. On s'imaginait.
Je peux allez me coucher maintenant. Mystère élucidé. Mais j’ai pas trouvé le masque. Vous m’en envoyez un ? Je m'occuperai du compte à rebours.
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ndlr : ayant enfin retrouvé l'année de ma cicatrice, je peux me permettre cette photo le jour de mes 8 ans. Un cliché "au naturel", sans pose. Dans la famille on ne plaisantait pas quand la pellicule était de sortie. Aucune moquerie ou commentaire ne seront acceptés. Ouah la tête de vainqueur !! T'as vu la déco ? Ah ah ah ! Tout ça quoi.
ndlr bis : il faut m'imaginer avec 6 mois de plus pour se faire une idée précise du petit garçon qui regardait Sochaux-Francfort sur un lit d'hôpital dans d'atroces souffrances... Vous l'avez ? La larme au coin de l'oeil, vous l'avez ?
* J'ai conscience que ce texte contient des références sportives qui vous passeront au-dessus de la tête, à des hauteurs que je n'ose imaginer, mais si vous saviez la place qu'elles ont dans la mienne... (-:
Grâce à cette vidéo, vous pouvez voir ce que mes yeux ont vu ce soir là. La seule vérité objective de ce récit. Le reste n'est que mémoire et sensations...
1980 - THE POLICE chantait ça. Je les découvrirais bien plus tard. Parce que mes parents écoutaient peu Police. Très peu.
Impossible de ne pas vous la mettre dans la tête celle-ci... 4 millions d'exemplaires vendus de ce 45t...