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MA VIE C'EST UN PEU ÇA !

MARÉE BASSE

22 Février 2023, 12:05pm

Publié par Guillaume

C'est l'imprévu que j'espère, et lui seul. Partout, toujours. Dans les plis d'une conversation, dans le gué d'un livre, dans les subtilités d'un ciel. Je le guette autant que je l'espère. Ce à quoi je ne m'attends pas, c'est cela que j'attends.

© Christian BOBIN - Autoportrait au radiateur - 1997

MARÉE BASSE

La première fois que je suis passé à côté de lui c’était en courant. Tout de suite il m’a plu. Parce qu’il n’avait rien à faire là. Et j’ai un faible pour les gens ou les choses qui ne sont pas là où ils le devraient. Puis cette idée de l’inattendu qui vous attend c’est passionnant. Un peu comme si ce frêle esquif me disait à moi qui vais rarement à la mer(1) alors que cette Méditerranée est là juste à côté qui me tend les bras : "Tu sais, c’était pas simple mais je suis venu. Me suis rapproché de toi. Y'avait ce vent du nord et pas mal d’éléments défavorables mais fallait qu'on se voit." Comme s’il me faisait comprendre, en silence, qu’on ne m’oubliait pas là-bas. Au loin.  

Depuis notre rencontre, j’ai toujours eu envie de le prendre en photo. C’est beau un bateau allongé dans l’herbe. Ça bouge peu. On risque moins la nausée. Il se laisse admirer en entier, n'a plus rien à cacher. On sait tout de son usure, de ce qu’il a traversé. Les éraflures, les fêlures, les couleurs passées, l’abandon, le repos.

Toutes les fois où j'étais passé devant, impossible de le mettre en boite. Parce que quand je cours je refuse de prendre mon téléphone. Oh pardon, mon smartphone devrais-je dire ! Pas envie d’être dérangé. Puis en course à pied c’est pas comme sur un vélo, le risque d’accident est plus modéré. Beaucoup plus. La crevaison irréparable ou le bris de matériel quand on court, c'est plus rare. Alors dès qu'on peut se passer de cet objet "indispensable" y'a comme un vent de liberté qui souffle. Ne plus être joignable. Enfin.

Ce matin je devais tester mes nouvelles chaussures de randonnée(2) et comme ce petit navire s'était échoué à six kilomètres de l’appartement, j'ai décidé d’y aller. En ayant une belle frustration en tête. Paraît que c’est important les frustrations. Moi ça m’arrange. Parce que ça me donne l’occasion d’avoir beaucoup de choses importantes dans ma vie. Oui, cette marée basse j’aurais voulu la capter avec un appareil argentique. Un vrai appareil photo quoi. Vous savez, cette idée du choix. Du moment, de la lumière, de la distance, de l’angle. Avant l'attente, la surprise du résultat. Qui fait forcément naître ce soupçon d'angoisse... Avec la photo argentique on saura. Mais plus tard. Au minimum dans quelques jours. 

On l'a perdue cette idée de patience. Devenue insupportable dans ce monde du "tout tout de suite". Pourtant le désir nait de l'attente. Les sentiments, un nouvel objet, les nouveaux épisodes d'une série. À ce sujet on a perdu un truc au passage avec ce fonctionnement contemporain. Vous vous souvenez dans le temps d'avant (oui là je me la joue Philippe Delerm "Je vais passer pour un vieux con"), on regardait un épisode de notre série fétiche et si y'en avait deux à la suite c'était Byzance ! Puis fallait patienter une semaine. On prenait rendez-vous. L'événement se créait. L'attente, l'excitation, la frustration. Maintenant on peut plier l'affaire en une nuit ! On mange tout le paquet d'un coup. Après on n'est pas bien. Pas pris le temps de savourer, on s'est goinfrés (d'ailleurs l'expression à la mode c'est "binger". Qui en français signifie "se gaver". On fait bien de le dire en anglais, on gagne une syllabe. Ces millièmes de secondes qu'on aura en plus à la fin). C'est pareil avec la photo. On peut figer en quelques secondes 10 ou 15 prises de vue avec le numérique (en mode "rafale" je vous raconte même pas). On entasse, on collectionne, on accumule. Puis si on veut en faire quelque chose faudra trier ces centaines de traces. Prendre le temps du choix. Mais le fera-t-on ? Pas sûr.  

Je crois que je me suis éloigné de mon copain ST625127. Aïe. Je m'emballe je m'emballe et après j'oublie pourquoi je suis venu ici. D'ailleurs c'est quoi ce nom ? Rapidement j'ai commencé à fantasmer sur un couple roots et glamour à la fois, Steven et Tania nés en Juin 1925 et Janvier 1927. La rencontre avait eu lieu dans le port de Vladivostok, mer du Japon. Lui travaillait sur un cargo et pendant l'escale... Puis en faisant 18 secondes de recherches sur le net j'ai pu vérifier que les bateaux avaient eux aussi une immatriculation. Mes rêveries s'échouaient elles aussi dans ce pré.

Cette rencontre inattendue avec ST625127 à environ quatre kilomètres de la mer était parfaite pour appréhender l’angle de vue sur les choses, les gens. Parce qu'en restant sur le chemin, à la surface, on aperçoit un voyage. On imagine des ports. Une vie de pêcheur. Des tempêtes peut-être, du soleil beaucoup dans cette région. Le sel, l’eau et le vent qui ont patiné ce bois. Des peurs aussi en voyant ces nuages noirs pointer le bout de leur nez alors que Miss Météo avait bien précisé la veille quelques entrées maritimes mais le soleil dominera. Parce qu'en restant sur le chemin on ne voit que la vitrine. Une belle vieillesse. De loin.

Si on s'approche, qu'on oublie le décor et cette première impression. On peut peaufiner. Y'a même un petit sentier pour descendre ce dénivelé colossal d’environ trois mètres zéro quatre. J'ai pu faire le tour de cette embarcation. Parce que je suis curieux (plus que vous ne l'imaginez !) et parce que j’avais envie de la voir de près. De sentir un bout de son histoire. 

Ça m’a rappelé la scène. Celle des théâtres, des salles de spectacle. Ce que le public peut entrevoir. Un spectacle se montre sous son meilleur angle. Avec les belles lumières, les bons comportements, le maquillage, les jolies tenues. Et si en plus on voit ça de loin, au aurait presque l’impression qu’ils sont jeunes et beaux ces artistes. Un peu comme ce ST625127. Qui ne me montrait que ses paillettes, sa prestance. 

Et comme je suis un gars du genre j'me pose des questions pour tout et rien, je me suis demandé ce qu'il foutait là. Oui quand même. C'était quoi l'idée ? J'aime imaginer. Là j'étais gâté. Dans cet esprit tourbillonnant qui est le mien, jamais au repos, je pouvais m'en donner à coeur joie. Je laissais venir à moi des esquisses de nouvelles. Vous aurez probablement les vôtres. 

La plus évidente de mes hypothèses ? J'étais face au héros de la comptine qui n'avait ja ja jamais navigué qui n'avait ja ja jamais navigué oh hé oh hé ! Combien d'enfants auraient tué père et mère pour avoir ce privilège de voir enfin à quoi ressemblait ce petit navire qu'ils allaient trimballer toute une vie ?

L'hypothèse survivaliste. Très tendance. Et j'aime bien être à la mode. Le (ou la) propriétaire est une personne très anxieuse qui préfère tout anticiper. Même les raz de marée ou les tsunamis. C’est un peu plus poétique qu’un bunker je trouve. Il faudrait juste un beau concours de circonstances pour profiter de cette bouée en bois. N’être pas loin et au bon moment. Avoir le réflexe de courir dans ce jardin, de sauter... Bref, je vous laisse à votre scénario catastrophe pour imaginer la suite. En plus je vous ai pas dit mais ils ont tellement d'enfants qu'il seront condamnés à faire un choix quand la tempête atteindra son paroxysme... Un massacre.

Une petite dernière ? Plus poétique peut-être si jamais vous lisez ces mots avant de vous endormir. Moi je vois bien deux parents les soirs d'été venir enlever cette bâche, s'asseoir avec Marine et Titouan leurs enfants, allumer quelques bougies et lire des contes sous les étoiles... C'est peut-être un poil plus tranquille que l'idée précédente. Tendance feel-good bibliothèque rose.

Marée basse.

Et idées hautes.

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Si vous avez envie de lire ces mots avec une ambiance marine, cliquez sur la vidéo en bas de page (la première, pour la seconde je vous laisse avec Alain)... Et n'oubliez pas, si vous avez aimé cette marée basse, ce blog, de le faire découvrir à vos amis ! Merci !

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(1) encore moins en mer pour cause de mal de mer

(2) je vous invite à regarder cet article si vous avez envie d'en savoir plus sur cette nouvelle acquisition : QUAND ON N'A RIEN À DIRE 

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ndlr : dès que j'ai entre les mains un appareil photo argentique, promis j'y retourne auprès de mon ami ST625127. En choisissant le moment de la journée pour l'éclairage...   

MARÉE BASSE

Un bateau ça embarque. Vers les rêves. Tous nos j'aurais dû y'avait qu'à...

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