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MA VIE C'EST UN PEU ÇA !

QUAND ON PARLE DE FLEURS....

8 Mars 2023, 20:09pm

Publié par Guillaume

QUAND ON PARLE DE FLEURS....

On a toujours l’air idiot quand on parle de fleurs.

© Christian BOBIN - Le muguet rouge - 2022

En lisant ces mots de Christian Bobin, un souvenir est remonté à la surface. Faut dire qu’à l’époque l’événement m’avait interpelé. Tellement représentatif. De mon décalage avec les autres. De notre décalage devrais-je dire. Tout le monde n'habite pas le monde de la même façon, c'est le titre d'un roman de Jean-Paul Dubois, prix Goncourt 2019 (que j'avais adoré soit dit en passant mais je referme ici la parenthèse de ma suffisance culturelle qui s'étale un peu trop ces derniers temps avec, comme ici deux références dès ce premier paragraphe : c'est trop !). Un titre (celui de Dubois, c'est le problème avec les longues parenthèses faut relire ce qui venait "juste avant" sinon on comprend plus rien) qui résume assez bien ma façon de l'appréhender, ce monde. On n'est pas tous faits pareil. Pas la peine d'aller loin pour croiser des étrangers. Par exemple si vous n'aimez pas les parenthèses et le second degré, vous n'avez plus rien à faire ici. Du moins je l'imagine. Dommage parce que la suite valait le détour... Si si je vous assure. 

Parfois y'a un détail dissonant avec l'entourage. Détail qui devient peu à peu une évidence. Le genre de détail qui devrait vous faire réagir immédiatement. Qui devrait vous faire bondir ! Imaginez une scène théâtrale et moi au milieu en train de tout envoyer valser dans une sortie magistrale en hurlant JE N'AI PLUS RIEN À FAIRE ICI DANS CE COSTUME !!! Une tirade d'anthologie conclue par un claquement de porte à faire trembler tous les murs du château(1). Oui, à imaginer une situation et un lieu, je n'opte pas forcément pour un appartement miteux dans une zone industrielle. Mon côté petit bourgeois probablement.

Pourtant on ne fait rien de ce détail même lorsqu'il a pris une place si importante qu'on ne voit plus que lui. On ne bouge pas. On note ce mot, cette attitude ou cette discussion surréalistes. C'est inhabité mais socialement correct. On reste là. Les bras ballants. Anesthésié. Et en faisant un petit effort de mémoire, j’en ai croisé souvent de ces anecdotes qui n’en étaient pas. En réalité très souvent, de quoi écrire un roman. De véritables révélateurs cachés sous l’anodin. L'intuition vous le dit, les warnings intérieurs aussi (suis très bien équipé en la matière mais j'oublie encore souvent d'en tenir compte alors je me soigne, y'a encore du boulot, mais je vous promets que je me soigne).

Tiens, je me souviens d’un repas avec une ex. À l’heure du fromage elle prend un bout de Comté. Jusque là pas de mise à mort envisageable. Non. Rien d’irréparable. Mais quelques secondes plus tard, avec son couteau, elle enlève la croute. Je la regarde. En respirant le plus calmement possible et en me disant non, elle va quand même pas faire ça… laisser presque un centimètre de marge, non… Alors plutôt que de commettre l’irréparable qui eut été pourtant la seule vraie solution un brin extrême je le reconnais mais sans concession, je décide l’action silencieuse d’une clarté absolue. L’air de rien, tout en continuant la discussion qui à cet instant m’était très lointaine, je prends « la » croute posée dans son assiette, et tranquillement, je fais ce qu’elle aurait dû faire, ce que mon père m’avait appris, à savoir ne laisser QUE la croute. Une opération délicate certes, mais dans la famille on a une tolérance d’un millimètre ou deux. Moi j’ai le diplôme expert, faut dire qu’avec Joseph on évoluait dans la Champions League du découpage des bords. Mais un centimètre nom de dieu un centimètre ! Dans mon éducation j’ai le souvenir du respect pour la valeur des choses, des produits, de la nourriture, du travail qu’il y a derrière, des gens quoi. On ne gaspille pas. On ne plaisante pas Madame. Pas avec ces choses.

J’ai bien vu qu’elle me regardait faire tout en parlant. Qu’elle me regardait manger ce qu’elle allait jeter. Mon estomac en guise de poubelle. L'ingrate. Mais je savais qu’elle savait. Impossible de ne pas avoir compris.

Cinq minutes plus tard, elle reprenait un morceau. Nouveau découpage. Nouveau centimètre… Sans même tenter de faire comme si. Au contraire, la volonté assumée de me montrer « j’en ai rien à foutre ».

C’est à ce moment-là, à ce moment précis qu’il faudrait qu'il aurait fallu. Parce qu’à travers ce Comté(2), on la pressent l’histoire. Tout ce qui va suivre. Les comportements, l’écoute qui n’existera pas, l’incompréhension évidente. Pourtant tu bouges pas. Tu lui fais pas avaler toute la croute. Rien que la croute. Qui n’était finalement que la partie émergente de tout le reste. D'un énorme plat indigeste. Vérifié trois ans plus tard avec une oeuvre globalement magistrale. Chapeau l’artiste ! 

Et c’est quoi le rapport me direz-vous entre le comté et les fleurs du titre ? Aucun en apparence, vous avez entièrement raison. Pas de quoi en faire un fromage ! Ah ah ah. Un peu quand même. Un peu. Je me suis perdu mais j'ai le sens de l'orientation. Je sais où je vais. Je vous y emmène.

Non, ce souvenir floral et printanier concerne une petite fille. Qui devait avoir 7 ou 8 ans. Un âge où tous les gens que vous croisez avec vos parents vous posent la même question (à croire qu’il n’y en a pas d’autres) : « et toi c’est quoi le métier que tu veux faire plus tard, hein ? T’as choisi ? » Si on ajoute à ça la transformation vocale infantilisante éventuellement améliorée avec deux mains sur les genoux, ça donne un résultat pathétique. Mais passons.

La petite, sans trop réfléchir parce qu’à ce moment-là y’avait une évidence pour elle, répond à sa grand-mère du tac au tac (alors qu’avec la grand-mère y’avait rien à gagner !) : « Poète. Oui je veux être poète mamie. » 

Ah ah ah qu’elle est mignonne ! Ah ah ah ! Non mais j’vous jure ! Ah ah ah (j’aimerais restituer le ricanement strident à l’écrit mais j’y arrive pas)… Mais enfin Camille, c’est pas avec ça que tu vas gagner ta vie ! Faut un vrai travail !

« Ben alors ce sera fleuriste à mi-temps et poète. C’est beau aussi les fleurs. »

Ah ah ah ! Vraiment elle est rigolote !!!

Vingt ans plus tard (pas tout à fait mais ça sonne mieux que seize ans et demi), je retrouve cette scène dans presque tous les livres de Christian Bobin. Ce décalage entre le monde sérieux et les autres.

"Il n'y a pas d'autre raison de vivre que de regarder, de tous ses yeux et de toute son enfance, cette vie qui passe et nous ignore." (La nuit du coeur - C. Bobin)

Comment ai-je pu laisser passer cette moquerie bien plus profonde qu'elle n'y paraissait alors que tous mes voyants avaient viré au rouge ? D’ailleurs, si Camille avait annoncé ça 10 ans plus tard, on aurait remplacé moquerie par mépris… Comment n’ai-je pas plus défendu cette projection d’une beauté absolue ? Pourquoi n’ai-je pas collé mamie sur la balançoire en lui faisant faire plusieurs 360° de suite ? Avant de la jeter dans la fosse aux lapins derrière la maison... oui, pourquoi ?

Pour éviter le carnage. J’ai laissé passer pour éviter un bain de sang. Une fois de plus. En souriant bêtement. Alors qu’une révolte s’imposait. Une révolte poétique. Sorte de coming out des sensibles. Des rêveuses et des rêveurs...

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(1) Sauf si je suis chez moi bien entendu, je vous laisse faire l'adaptation des dialogues dans le but de faire évacuer au plus vite ces indésirables. Avec tous les noms d'oiseaux que vous avez en stock, ne connaissant pas votre niveau en la matière, ni l'intensité de votre vocabulaire, faites-vous plaisir ! Si c'est du vécu c'est encore mieux : ça fait un bien fou !

(2) Vous me direz si je me trompe mais à mon avis, après cette lecture, à chaque fois que vous croiserez un bout de Comté abandonné sur un plateau de fromage... non ? Je pourrais écrire la plus belle des poésies, du Rimbaud en mieux (comme pour le château je vais pas m'emmerder à choisir un poète méconnu de la Haute-Loire), je suis à peu près certains que votre mémoire sera bien plus efficace pour vous ramener vers moi si vous avez un bord à découper au cordeau... On fait le pari ? Et je pourrais décliner l'idée avec d'autres articles de ce blog !

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Cette photo de Camille a été prise en 2007. Au studio de Valflaunès pour sa première "prise de son" à 8 ans. C'était sur FILLE FRAGILE (texte de Rachel Delahaye à qui je fais un petit "coucou" mais avec les mots c'est dur de montrer une main qui s'agite. Ah merde c'est vrai on n'arrête pas le progrès, suffisait de mettre ça 👋 et la parenthèse aurait été plus courte...)

Chanson écrite en hommage à Léonard Cohen mais qui a des allures universelles. Suis fan de ces mots, de cette mélodie.

Finalement elle va pas mal cette chanson avec le thème du jour... // L'occasion d'écouter la voix de Camille 16 ans plus tard. //

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