MÖNCHENGLADBACH - Épisode 2/3
Sans la lecture de "MÖNCHENGLADBACH - épisode 1" vous manquerez l'essence même de ce récit... Session de rattrapage sur ce lien !
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Je sentais bien Luc s’agiter un peu. Mais bon, je me suis dit il est bizarre aujourd’hui. Il insistait, tentant des mots confus en masquant sa bouche de la main. Et le silence est monté d’un coup. Gros crescendo. Si fort que j’ai levé la tête. Il était là à me regarder. À quelques centimètres de moi. Le prof. Sans rien dire. D’ailleurs à ce stade du récit, j’en profite pour faire une hypothèse : ce fut sûrement le moment le plus calme de l’année dans son cours. Le temps suspendu. Comme mon compas entre mes doigts. Alors avant de ramener mon bras droit dans la position plus classique de l’élève modèle, j’ai eu ce dernier sursaut de lucidité ou d’orgueil, ou de dignité peut-être pour garder la tête haute : j’ai ouvert ma main.
Ploc.
Cette fois tout le monde l’avait entendu. Très beau son d’ailleurs ce ploc. Avec le recul et surtout mon expérience en acoustique pour l’enregistrement, je garde un souvenir très mat, peu de réverbe dans cette salle. Un ploc très propre. De grande classe. Moment de gloire. Éphémère. Assez éphémère. Une petite convocation a suivi. Un entretien individuel. Une chance quoi.
Quant à l’épisode numéro deux, ce fut une suite logique. Dans la salle audio cette fois. Casque sur les oreilles, dialogues en allemand bien entendu mais je n’attendais plus aucune originalité de sa part. Trop prévisible cet homme. Dialogues qu’il fallait déchiffrer et comprendre pour répondre aux questions. Étant donné mon investissement depuis presque trois ans dans cette discipline, il m’aurait envoyé dans les oreilles un mix coréen-finois le résultat eut été le même, à savoir une magnifique page blanche posée en évidence sur mon bureau. L’intégrale de mon ignorance.
Dans ce labo de lycéens casqués, le pauvre homme promenait son espoir. Celui de voir enfin le fruit de son travail sur les feuilles et dans les regards lumineux. Je vous laisse imaginer ce qu’il a trouvé en s’approchant de moi… J’avais franchi un cap dans ce cours. Je le sentais. J’en retirai une certaine fierté. Je ne faisais même pas semblant de griffonner un truc ou deux sur ma page. Mon corps tout entier assumait cette idée de « même pas chercher à comprendre ». Pas faire semblant. Pas jouer mon rôle qui aurait permis à tout le monde de jouer le sien tout en sachant que ce n’était que pure mise en scène. Pour la faire courte, j’ai lu dans son regard un désespoir immense. Dans son soupir, une vraie détresse de ne pas savoir quoi faire avec moi. De moi. Perdu. Il était perdu. Ce qui ne s’est guère arrangé à la sortie du cours pendant mon deuxième entretien avec lui. On était devenus intimes. Enfin presque.
- Mais monsieur Delahaye, vous vous rendez compte de l’exemple que vous donnez aux autres ?
- Oui… peut-être… mais je les dérange pas. Je les empêche pas de travailler. C’est ça le plus important non ?
En une réplique il était à terre. Avec le recul j’ai quelques remords. Non, je déconne. Je me surprends à rire. Ça me rassure un peu. J’avais un petit punk en moi. Non exploité par la suite. Dommage. Mais revenons à ce condensé de dialogue :
- Et votre avenir monsieur Delahaye ? Vous y avez pensé à votre avenir ?
- Dans trois mois j’arrête l’allemand… Vous savez Monsieur, moi je voulais arrêter dès cette année en rentrant au lycée, j’avais demandé à ne pas suivre ces cours parce que je savais que ça ne m’intéressait pas, que mon niveau était nul. Mais c’était obligatoire. Alors je suis venu. Mais avec le souci de pas déranger…
La messe était dite. Détresse immense pour cet homme qui venait pourtant de faire tapis avec cet avenir posé devant moi. Je n'ai pas tremblé sous la menace. Nos rendez-vous se sont alors espacés.
Mais ma première idée c'était pas du tout de vous raconter ça ! Rien à voir avec ces souvenirs d'ancien combattant de seconde. D’ailleurs si avez été attentifs et attentives, à part le lien avec le nom germanique de la ville, l’évidence n’est toujours pas au rendez-vous. Elle arrive. Elle arrive. Patience.
Hier soir, alors que je revoyais l’une de mes séries préférées ("BRON/BROEN" en V.O. évidemment pour ces sonorités suédoises et danoises ! Série exceptionnelle si vous êtes fan de thriller et de personnages singuliers très attachants), l’un des deux héros, Martin, a lancé une discussion sur les souvenirs d’enfance à l’hôpital. Il demandait à Saga, sa collègue, si elle en avait. Et de quels détails elle se rappelait. En quelques secondes j’étais ailleurs. Dans ma tête, je répondais moi aussi à la question de Martin. Parce que j’en avais deux de souvenirs marquants. Chacun ancré en moi pour des raisons différentes...
À SUIVRE...
Cette chanson en patois allemanique m'avait emballé à la première écoute ! On m'avait tellement dit que l'allemand n'était pas fait pour être chanté... Magnifique ! Bon, en même temps tout son album l'était. Un bijou ce ENGELBERG.
La chanson du générique met dans l'ambiance... // Sur l'image Martin et Saga donc. Qui m'ont donné l'idée de ce texte.