23h16 - PHILIPPE
©Zik'Occitanie // Octobre 2020 - Théâtre Jérôme Savary // avec Jean Mach, Séverin Delahaye, Camille Delahaye et Philippe tout à droite...
Dans ces moments là il ne reste que les mots. Pour témoigner ce qui a existé. De ce qui n’est plus. Ne sera plus jamais. Mais tant qu’on parlera de toi, tu continueras d’exister quand même.
23h16 hier soir, téléphone éteint depuis une demi-heure. En train de me replonger une deuxième fois dans « Les années » d’Annie Ernaux qui démarrent par cette citation de Tchekhov : « Oui. On nous oubliera. C’est la vie, rien à faire. Ce qui aujourd’hui nous paraît important, grave, lourd de conséquences, eh bien, il viendra un moment où cela sera oublié, où cela n’aura plus d’importance. Et, c’est curieux, nous ne pouvons savoir aujourd’hui ce qui sera considéré un jour comme grand et important, ou médiocre et ridicule… »
Ils font chier ces hasards. Vraiment.
Puis avant d’éteindre la lumière je vérifie. Sachant qu’il n’y aurait rien à vérifier. Mais parfois on est vraiment con. On vérifie quand même. Et si j’avais fait comme d’habitude, j’aurais enlevé le mode avion au réveil (sachant que mes nuits ont plusieurs réveils, je parle du dernier quoi). Ce qui aurait permis à Philippe de vivre quelques heures de plus. Dans ma tête.
Mais à 23h16, en découvrant que Jean m’avait laissé un message, je trouve ça bizarre. Et là, on saute dans le vide. On se dit que non, ben non, c’est pas possible. Et si, pourtant si. Philippe n’est plus. Plus avec nous « en vrai ». Parti d’un coup, sans dire adieu. 57 ans.
« Y’a toujours un dernier, un dernier rendez-vous… » Je prends ma propre chanson en pleine gueule.
Dimanche on devait se retrouver avec Camille et Marie dans ce studio Canta Cigales pour préparer cette sortie d’album avec toi. Pour un concert assez exceptionnel le 2 décembre. Je sais que tu étais enthousiaste. J’étais impatient de les réunir ces gens que j’aime. Une occasion magnifique de faire sonner ce disque avec tous ses ingrédients sur scène. Oh la la que j’aurais aimé ta contrebasse et le violoncelle de Marie sur les choeurs de Camille… Oh la la …
Dis-moi Philippe, comment je vais faire moi sans ces sorties de scène où tu dis dans la loge, avec cet accent inimitable que j’imite pas trop mal, enfin je crois : « ENCORE UN TRIOMPHE » ?
On n’a pas toujours été d’accord sur tout, mais là vraiment tu fais chier.
Depuis que je suis ado, bercé aux chansons de Balavoine (autre douleur un 14… janvier), son « Partir avant les miens » m’a toujours fasciné. Toujours. Je le comprends si bien. Si bien.
Beaucoup de sommeil en retard ces derniers temps, mais là impossible de dormir. Alors j’écris, je refais le film de ces 15 ans qu’on a partagés. De ce gars qui n’écoutait pas mes textes, qui ne savait pas ce que je racontais exactement* mais qui posait toujours les bonnes notes, était toujours en accord avec mes émotions. Comme si tu ressentais les choses avec ma voix, mes mélodies. Puis je crois qu’on avait un autre point commun : ce sens de la répartie, cet humour décalé.
À cet instant je ne sais pas encore à quoi ressemblera la soirée du 2. Aucune idée. Là me revient BACRI dans UN JOUR DE FÊTE : « On s’ A D A P T E »
Sûr qu’on va s’adapter. Mais ton ombre va planer dans ce théâtre où tu m’avais dit ce « oui » définitif pour faire partie de l’aventure scénique il y a plus de 12 ans…
FAUT VIVRE, chantait Mouloudji. C’est ça, faut vivre. On va le faire, promis. Mais ça va pas être simple pendant quelque temps.
Putain de merde, EMPREINTES. C’est le thème. On y est à fond. Tu en auras laissé de belles, d’immenses sur moi. Sur mes chansons. Parfois tu m’as vraiment agacé, parfois. Mais ce regard, cette tendresse me bouleversait tant. À priori on n’avait rien en commun, pourtant il se passait quelque chose entre nous. Une évidence. Humaine et musicale.
Le temps adoucira les choses, forcément puisqu’on n’a pas le choix. Mais à cet instant cette idée m’est assez insupportable.
Alors je vais revoir des photos de toi, me souvenir de tout ce qu’on a partagé, réécouter tes basses, tes contrebasses, pleurer pas mal aussi. Mais bon, de toute façon mes sécrétions lacrymales sortent assez facilement alors ça leur donnera une bonne excuse pour s’échapper.
« QUAND TU VEUX PHILIPPE… », c’est comme ça que démarrait l’album HASARDS en 2009...
Et à propos de Hasards, à la fin de ces EMPREINTES, je me demande si ce sera le dernier album, en tout cas pour toi oui. Je réécouterai chacune de tes notes comme un dernier trésor. Que tu m’as offert. Parce que tu as refusé que je te paie sur ce coup-là. « Je te l’avais dit, c’est ma contribution à ton album, ça me fait plaisir ! Parce qu’un album de Guilam sans Fifi c’est pas possible hein ? »
Si tu savais Philippe, si tu savais.
La seule chose que je peux te promettre, c’est que tu seras dans tous mes concerts. Et vous qui écouterez mes chansons, prenez le temps d’apprécier ses émotions, son groove, son talent. Parlez de lui, de sa générosité, de sa sensibilité.
Souvenons-nous souvent. Souvent.
C’est tout ce qu’il nous reste.
Je crois bien que je vais écrire un texte à la Pérec. Je me souviens…
Tiens, juste en passant. Je me souviens de cet été chez Mika quand on a joué notre projet 2FOLKS avec Camille, tu étais là. Tu avais aimé. Puis tu m’avais dit « ça m’a fait plaisir, c’est la première fois que je te voyais en concert !!! D’habitude je te vois jamais de face ! »
Philippe c’était ça.
PS : pardon Philippe, j’avais même pas répondu à ton dernier SMS hier, qui posait une question sur LUNE ENFANCE pour la répèt’ de dimanche. Je l’envoie à qui la réponse ?
PS bis : cette photo parce que c’est notre dernière « belle scène » ensemble. Dans ce Théâtre Savary de Villeneuve-Lès-Maguelone. Un soir d’Octobre 2020. Jean était là avec nous. Camille et Séverin aussi. Incroyable parce que je partage ça avec eux. La dernière fois qu’on s’est vus, ils étaient là. En Août dernier. Chez Mika et aux vendanges.
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*je vous laisse imaginer la tête d’Anne Sylvestre quand il lui avait « avoué » ne pas écouter les paroles des chansons …!!!
QUAND TU VEUX PHILIPPE !
Oui. On nous oubliera. C’est la vie, rien à faire. Ce qui aujourd’hui nous paraît important, grave, lourd de conséquences, eh bien, il viendra un moment où cela sera oublié, où cela n’aura plus d’importance. Et, c’est curieux, nous ne pouvons savoir aujourd’hui ce qui sera considéré un jour comme grand et important, ou médiocre et ridicule…
L'un de nos grands moments avec toi cette reprise de Boby !