L'INSTANT OÙ LA POSE SE DÉFAIT
C’était une première pour moi d’aller à une émission radio en me demandant pourquoi j’y vais ? Avec la même question en ressortant pourquoi j’y suis allé ? Mon intuition reste cohérente. C’est déjà ça. Parfois j’aimerais en avoir moins, de l’intuition. J’imagine et entends déjà les réactions autour de moi : « C’est super, t’as des contacts sur France Bleu ! ». Super en effet. Mais prenons un peu de recul. Pas trop suivant ce qu'il y a derrière vous.
Esther, l'animatrice te demande d'arriver au moins 15 minutes avant le direct. 17h15. Ce que tu fais car t'es un gars discipliné, respectueux. Et pour anticiper le "peut mieux faire", t'es même arrivé 20 minutes avant. 17h10.
Tu rentres dans le studio vers 17h31, le temps de t’asseoir et c’est parti. À cet instant tu te demandes à quoi ces 21 minutes ont-elles bien pu servir... ? À attendre. Probablement une réflexion sur la méditation. Éloge du rien. Quelques mots d'Esther puis un extrait de l’album. Un extrait en effet, une minute trente. Cette minute et des poussières enchainée aussitôt avec un titre de … Slimane ! Oui, vous avez bien lu. On reçoit un artiste qui fait des chansons, qui vient de publier son cinquième album et on n’écoute même pas sa chanson en entier. Mais celle de Slimane oui. Cherchez l’erreur.
C'est un peu comme si t'écrivais un livre, qu'Augustin Trappenard te recevait à la Grande Librairie et que, pendant l'émission, pour illustrer tes prises de parole on lisait des passages de Kundera, Colettte ou Maupassant qui n'ont rien à voir avec ton propos... ce serait cocasse non ? Oui je sais, ces ornementations littéraires seraient légèrement plus flatteuses.
Qu’il n’y ait pas de malentendu, je n’ai rien contre Slimane. Du tout. Bien que si on m'avait demandé mon avis, un choix plus raccord avec ma proposition, ce garçon n'aurait pas été dans le casting. Mais là on sent bien l’idée. On la voit venir. De loin. Je suis là pour remplir des cases. Rien d’autre. Je suis un artiste local, presque bio donc j’y rentre dans la fameuse case de l'émission. « Ben pour une fois qu’il y rentre dans les cases il se plaint en plus ! » C’est pas faux. Pour une fois en effet.
Rien de journalistique dans cette interview, pas vraiment d’enthousiasme ni de connaissance approfondie sur mon travail. Juste un gars du coin « assez bien installé dans le paysage artistique », suffisamment légitime pour être là.
On enchaine avec une seconde intervention mais qui doit être raisonnable parce qu’après « y'a le point route »… avant un deuxième extrait : de la folie quoi ! Un nouvelle minute trente suivie de… Coldplay cette fois. En entier évidemment. Bref, une mascarade. Avec l’ingé-son qui insiste pour nous faire comprendre qu’à la dernière partie de l'entretien faudra pas trop s’étendre.
Pareil, j'ai rien contre Coldplay. J'ai beaucoup écouté l'album "A Rush of Blood to the Head" sorti en 2002. D'ailleurs en rédigeant ces mots j'ai eu envie de le réécouter. Pour voir. Bons souvenirs, même si ça donne peu envie d'y revenir. En tout cas si vous trouvez un lien avec ma proposition, n'hésitez pas à me le dire, ça m'intéresse.
Je résume. Faut un gars ou une fille du coin qui tienne à peu près la baraque mais faut surtout pas que l’auditeur ou l’auditrice change de station alors on ne passe que des extraits. Avant que la tentation d’aller voir ailleurs ne se fasse trop pressante. Faut se méfier des envies trop pressantes. Toujours. Alors aucun risque. Slimane ou Coldplay, ça rassure. Ou pas. Mais on connaît. Ça rassure. Welcome dans ce monde du risque zéro.
En 2022 j’ai écrit une chanson (inédite à ce jour) et qui démarre comme ça : Faut du connu / Du qui rassure / De ce qui nous / Bouscule pas trop (…)
Va vraiment falloir que je l’enregistre, en hommage à France Bleu. Et pour tous les rendez-vous de ce genre. Genre l'habitude comme ambiance générale. Des cases. Des codes. À remplir.
Je suis ressorti de là bizarre. Parce qu’à aucun moment. ma naïveté ne m’avait fait croire que ce passage radio rendrait mon travail plus audible, mieux diffusé. J’ai participé à ce jeux de rôles en pleine conscience, acteur même. Je plaide coupable. Plus j’y pensais en marchant dans la ville plus je sentais un soupçon d’humiliation pointer le bout de son nez… Pourquoi mes chansons ne pouvaient pas passer en entier ? Slimane était un vrai chanteur et pas moi c’est ça ? Comment ne pas douter en sortant de ces 27 minutes ?
Ce coup de gueule ne remet pas en cause Esther(1) (très chouette fille, vraiment) qui m’a fait une place dans son émission. Non. C’est tout un système à revoir. Faut relire et écouter Christian BOBIN(2) de toute urgence (ndlr : le lire d‘abord une fois si on veut le relire) ! Prendre le temps. Le perdre. Se perdre. Contempler. Oser les silences. Les propositions à contre-courant. On en est loin. Si loin.
Cette jeune femme n’a fait que respecter un cahier des charges. Sans avoir le temps d’approfondir. Et à ce moment de ma vie, je le prends en pleine gueule ce manque d’approfondissement. Ce manque de passion. Oui c’est ça. Je réclame, je revendique de la passion ! De l’envie de se tromper. D’oser la différence.
D’ailleurs, elle me donnait les questions avant la reprise d’antenne. Pourquoi ? Moi je m’en foutais des questions. Je prends ce qui vient, ce qui passe quand ça passe. Sinon quel intérêt ? Tout ça n’a pas de sens. Et c’est d’autant plus compliqué à vivre quand on a conscience de ce qui se joue. Cette société du spectacle.
« Alors pourquoi tu y es allé si tu savais ? » Bonne question. Je vous remercie de me l’avoir posée. Parce que tant que cette décision d’arrêter ma vie scénique n’est pas entérinée (comment dit-on ? en sommeil c'est ça ? moi ça m'arrange de dormir un peu), je ne peux fermer les quelques fenêtres qui s’ouvrent spontanément. Même les petites. Encore une fois ce n’est pas le contenu qui est important, mais la vitrine. On y revient. Toujours. Pouvoir mettre des logos sur ses docs’ de com’, sur son « book ». Un nom de revue, de radio, de journal. Comme des tampons qui valident. Qui impressionnent. Alors que dans cette exemple précis, c’est le hasard qui m’avait conduit dans cette pièce. La rencontre improbable un soir de Noël entre une animatrice radio et une copine commune qui lui a dit « mais si tu cherches des talents du coin, j’en connais un ! » Tout simplement. Beau hasard en effet mais qui n’a rien à voir avec un coup de coeur.
Dernière anecdote. Pendant la deuxième pause (Coldplay) l'animatrice te demande si toutes les dates de concerts figurent sur ton site. Il est peut-être pas à jour ? Euh… si si… très à jour. En apercevant ton sourire elle s’affole un peu « oh la la c’est une question gênante ? » Non non, du tout. Intéressante même ! Tu la sens très gênée. Alors pendant le direct elle contourne le problème, l'esquive. Par peur de la réponse probablement. Comme si une confidence n’était pas à l’ordre du jour quand elle n'est pas « feel-good ». Imaginez qu’à cet instant tu oses « en effet y’a qu’une date et ça pourrait être la dernière »…
Ce mardi là, dans les rues de Montpellier, ce que je venais de vivre n’avait pas de sens. Alors avant d’aller voir Les Banshees d’Inisherin au cinéma (formidable film), je me suis posé devant une pinte de bière. Et j’ai écrit ce texte. En prenant une décision. À partir de maintenant, j’écrirai tout ce qui m’arrive. Pour le faire lire un jour ou pas. Mais les mots servent à ça. À témoigner. À sublimer. À exister.
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(1) J'ai changé le prénom par respect pour cette jeune femme sympathique qui ne faisait que son boulot. Rien d'autre. Et si elle avait voulu le faire autrement, son boulot, il est fort probable que la direction se serait occupée de ses doigts.
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(2) Le hasard qui fait quand même plutôt bien les choses m'a amené à écouter LE GRAND ATELIER consacré à Christian Bobin (version podcast - émission de Vincent Josse sur France Inter). Et là, dès le début de cette émission qui prend déjà le temps, une précision est apportée quant à la requête de l'écrivain... Il ne souhaitait pas inviter 4 personnes pour les 2 heures, mais deux. Seulement deux. Pour prendre le temps justement. Que ça m'a fait du bien d'entendre ça ! Nous avons pas mal de points communs Christian et moi. Mais concernant la célébrité, on ne joue pas dans la même catégorie. Et je pense que si Inter m'invitait, pas sûr qu'on me laisse autant de choix... Reste qu'utiliser son aura à des fins poétiques et humaines, c'est beau. Et rare.
L'une de mes plus belles claques "en vrai" ce Matéo Langlois. Cette chanson m'a renversé. Un bijou. Qui colle à merveille dans cette publication. Dans ma case.
Entre le journaliste et l’écrivain, une table de marbre. Sur la table deux verres de vin, et toutes les ruines des questions précédentes. Le journaliste fatigué interroge une dernière fois sans y croire, sans attendre la réponse, tout prêt à ranger son stylo dans une poche, son carnet dans une autre poche : et si venait un grand amour, une passion, que feriez-vous . Et l’autre, la voix soudain blanchie : mais ça, on ne peut pas l’empêcher. Mais ça on n’y peut rien, absolument rien. L’amour c’est bien plus grand que nous, bien plus grand que tout. Puis il se tait. Et le journaliste se tait aussi. Et tout se tait autour de ces deux-là, le temps d’une phrase, une seconde de repos non illusoire, d’éternité non mensongère.
Prenez ces 5 minutes pour apprécier le travail de cet artiste ! J'ai eu la chance par un heureux d'hasard de rentrer dans cette église pendant l'exposition. J'avais été capté, intrigué, fasciné. D'où la photo en haut de page.
« La danse a toujours été pour moi un terrain de curiosité. Mais dans la danse, c’est ce moment d’échec qui m’intéresse, l’instant où la pose se défait, où la posture est cassée, où le corps tremble en cherchant le bon geste. Je trouve que c’est le mouvement le plus sincère »