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MA VIE C'EST UN PEU ÇA !

13 AVRIL 1998

19 Janvier 2023, 15:48pm

Publié par Guillaume

13 AVRIL 1998

Ce que j’aime avec les livres d’occasion, c’est ce qu’on y trouve parfois à l’intérieur, en plus de ce charme naturel de l’usure, en plus de cette patine du temps laissée par des doigts inconnus. Ces pages faites pour nous raconter des histoires et qui ont aussi la leur. Comme un voyageur qu’on intercepte. Avec son vécu.

Ce jour-là chez Emmaüs, en voyant le tarif des livres de poches, je n’ai pas hésité longtemps à en prendre une douzaine. Comme les oeufs. Parce qu’à ce prix-là la douzaine - 4 euros ! - on peut même se permettre le risque, le vrai. Celui qu’on n’oserait pas à la FNAC ou chez GIBERT. Le risque de faire le mauvais choix. Le risque de commencer un bouquin et se rendre compte après quelques pages qu’on n’y arrive pas. Mais à 33,333333333 centimes le roman, même si on n’en lit que 10 pages, ça fait un peu plus de 3 centimes la page… Si on en lit 50 je vous raconte même pas l’amortissement ! Rien de dramatique donc. On le range sagement dans sa bibliothèque sans la moindre culpabilité. Il fera le nombre avec ses camarades de rang et donnera l’impression du gars qui en a lu un paquet. J’ai fait un rapide calcul, en investissant 400 euros chez Emmaüs dans cette collection « poche » (notez qu’il faut quand même de grandes poches pour en glisser un à l’intérieur, deux n’en parlons pas, surtout si c’est du Ken Follett), on pourrait avoir 1200 « dos » alignés chez soi ! La classe bourgeoise intellectuelle sans trop forcer. Qui a dit que la littérature n’était pas abordable ?

Mais je crois que ce que j’aime le plus dans ces occasions, c’est ce qu’on y trouve à l’intérieur. Ces petits bonus qui questionnent, qui alimentent l’imaginaire. 

Y’a les dédicaces. J’en suis fan. Elles sont parfois d’un ennui à mourir. Presque une  liste de lieux communs. Parfois très touchantes alors qu’on ne connaît ni l’auteur des calligraphies ni la destinataire. Mais on a les prénoms qui en disent un peu. Qui nous font imaginer. Paul pour Thérèse on est à peu près certain que ces deux-là ne sont plus si jeunes. Lola pour Kevin… vous voyez l’idée. Puis y’a aussi le milieu social. Bertrand pour Marie-Charlotte est ce qu’un commentaire est nécessaire ? L’orthographe, le choix du stylo (crayon, bille, plume), la couleur, les pleins et les déliés, l’écriture « script », les majuscules, les ratures osées, une expression classique ou un peu d’audace, spontanée ou réfléchie … On perçoit une intention. Le lien entre deux êtres.

On y trouve aussi des marque-pages. Sous la forme de tickets de carte bancaire, de marque-page venant d’une librairie indépendante (oui je sais c’est un peu moins surprenant de découvrir un marque-page dans un livre, il n’aurait rien à faire ailleurs le pauvre), sous forme de carte de visite, de fleur (là on a affaire à une ancienne propriétaire à la sensibilité poétique certaine qui était assise au milieu d’un champ, sous un arbre, et a réalisé qu’elle ne pourrait pas terminer ce jour-là ce chef d’oeuvre de la littérature. Alors elle a opté pour la beauté du repère, histoire de rester cohérente avec la plume de Gustave)… puis en de rares occasions, il y a une photo coincée là. Juste derrière la couverture. Juste aux dimensions du livre. Oubliée probablement. Un acte manqué ?

Celle que je tiens entre les mains date du 13 Avril 1998. Trouvée dans un Paul Auster ou un Dorothy Allison je ne sais plus. Assez incroyable que je ne me sois pas rendu compte de sa présence en manipulant les livres sur place. 

Je dois vous avouer que la photo a sur moi pas mal d’effets. La photo en général. Et celle-ci en particulier. Elle raconte une histoire. Celle que j’imagine.

L’identité de ces 3 personnes m’est inconnue. La seule et l’unique certitude, c’est cette date écrite au dos. 13 Avril 1998. Comme faisait ma mère d’ailleurs. Ce souci de la mémoire. Des traces. Puis si on s’arrête un peu sur la partie artistique du cliché, je peux même évoquer mon père. Parce que c’était pas son fort le cadrage original ou le choix du décor autour des hommes et des femmes. Non là je crois qu’on est typiquement dans le registre de « la photo familiale qui veut se souvenir ». Marquer le moment. Rien de plus. Une ambition modeste mais qui a fait ses preuves. Incontestablement très utile.

J’imagine un événement particulier. Un anniversaire ? Une fin d’après-midi après une balade bucolique ? Mon intuition me disait que c’était un dimanche. J’y sentais cette ambiance à part. Je suis donc aller vérifier parce que de nos jours en 2 clics c’est simple… Ben non : c’était un lundi ce 13 Avril 1998 ! Tout faux. Mais pas totalement. LE lundi de Pâques. Ces journées où l’on sait s’ennuyer ensemble.

Peut-être ici les parents et le fils. Ou la tante avec son frère et son neveu. On ne peut pas savoir. Mais vu le regard de l’homme assis, ils ne doivent pas être seuls. On sent un relâchement très « apéritif ».

Je me serais bien prêté au jeu des prénoms hypothétiques mais l’exercice n’aurait reposé sur aucun élément scientifique sérieux. Pourtant si on additionne une marque de bière bon marché, des chaises de jardin très basiques et ce banc en guise de table pour poser son verre et garder quelques cartouches en réserve, on peut supposer que cette famille se situe dans la classe moyenne. Pas de manières. Pas de chichis vestimentaires non plus.  Donc pas trop de Joséphine ou de Charles-Édouard en vue.

À cet instant, ces trois-là ignoraient encore que la France de Zizou serait championne du monde. Le monde d’avant quoi ! Avant que tout ne change, ou presque. Moi j’allais avoir 26 ans. Mais on s’en fout puisque je ne suis pas sur la photo et ça n’a rien à voir avec cette histoire. Neuf mois avant que je ne devienne parent pour la première fois. Si ça se trouve cette photo c’était pendant la conception (je vous laisse faire le calcul pour une naissance le 11 Janvier 1999… si si, faites-le vous verrez, c'est intéressant...)

Sont-ils encore en vie ? Sont-ils épanouis aujourd’hui ? Se souviennent-ils de ce moment ? Sont-ils où ils le voulaient ? Devenus ce qu'ils imaginaient ? Ont-ils recherché ce document précieux avec des énervements du genre « mais tu vois, si je m’en étais occupé de ces vieilles photos on pourrait le revoir Pierre juste avant ses 18 ans ! Depuis il est parti en Inde et on ne l’a plus revu ! C’était la dernière photo qu’on avait de lui ! » 

Bref, j’ai peut-être entre les mains une querelle récurrente quasi quotidienne entre deux parents qui se souviennent souvent de ce souvenir perdu. 

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