SOIRÉE CINÉ - Épisode 1
Il est 18h05. Je prépare deux grosses crêpes avant d’aller au cinéma découvrir une production Grand Public. Il est 18h05 et je souris dans cet appartement. Un sourire que j’imagine communicatif. Ce qui est assez inutile car je suis seul. Et c’est probablement pour ça que je souris aussi…
Je souris pourquoi alors ? Pour qui ?
Pour moi.
Pour le relâchement, la liberté, ce confort que j’apprécie, mon bordel, les livres, les mots, parfois le piano, … tout ça sans objectif. Je souris parce que je suis tranquille. Pas de posture, de rendez-vous, de compromis à faire.
Gershwin, des crêpes, un stylo, du caramel, de la crème de marron, un livre à démarrer. Tout va bien. Elle est fugace cette sensation, mais pendant une minute ou deux elle est passée. La détente, la vraie. Pas celle qu’on s’invente en communauté où il est impossible d’être soi, sans posture. Impossible. Essayez de me convaincre du contraire, ce serait vain.
Ce soir au ciné, le thème du film me concerne, me parle tellement. Le même que celui de SMOKING / NO SMOKING (Alain Resnais). Ces détails qui font basculer une vie. Ces choix, même les plus anodins en apparence. Et comme on ne répète rien dans la vraie vie, une seule réplique suffit. Pas un gars au loin pour gueuler ON LA REFAIT ! La route est prise. Ou un chemin, une aventure. Ou un piège. Si on savait… Mais on ne sait rien. Fascinant. J’vous raconterai.
LE TOURBILLON DE LA VIE. C’était ça le film. Sur l’écran mais pas que.
Tout commençait pas mal. Public sage pour ce genre de production. Bien placé dans la salle, pas de risque de se faire emmerder visuellement. Sauf si un géant débarque. Mais vu la pente du lieu, la probabilité qu’un personnage de deux mètres cinquante déboule est très, très faible.
Bref, le hasard faisant parfois bien les choses, à ma gauche deux copines viennent s’asseoir. Deux femmes plutôt pas mal physiquement. Voire carrément jolies. Politesse d’un Bonsoir avec le sourire. Et la plus éloignée des deux avait un bien joli regard. Non, non, n’y pense pas. Puis de toute façon tu te connais, t’es incapable d’aborder une inconnue en sortant du cinéma. Tu t’y prendrais comment d’ailleurs ? « Excusez-moi, ça vous dirait d’aller prendre un verre ? Non, pas toi, ta copine, elle est mieux. Vous avez une voiture, moi j’suis en tram ? » Voilà quoi. Mieux vaut éviter les situations embarrassantes.
Elles commencent par poser leurs chaussures bien à plat sur le siège de devant pour faire une photo… Je me mets à espérer une forme de décalage, un humour singulier. Mais ça continue avec 2 selfies de leurs visages. Aïe. Mais bon, jusque là je tente de ne pas être intégriste, je me dis elles se sont pas vues depuis longtemps, c’est l’explosion de joie, la régression nécessaire à l’enthousiasme, tout ça.
Je me demandais si elles allaient s’arrêter de parler quand le film démarrerait. Ce fut le cas. Mais vraiment au premier dialogue, à la première voix… in extrémis ! Le doute s’installait tranquillement.
Puis comme ce film a une narration singulière faite de ces 3 ou 4 vies possibles de l’héroïne (et toutes celles impossibles à retranscrire en deux heures puisqu’il y en a une infinité de possibles, tous ces virages, ces à droite ou à gauche, ces je refais mes lacets avant de partir qui me font louper le bus, cette inattention qui me fait griller un feu et percuter un piéton, vertigineux, passionnant… ou effrayant … mais stop je m’égare !), il faut jongler avec les situations, l’évolution de chaque destinée. Des va-et-vient permanents, avec évidemment des indices du réalisateur pour aider nos neurones, nous faciliter un peu le travail. Bref, elles commentaient plus ou moins discrètement chaque changement (plutôt moins puisque je les entendais). Besoin de tout décrire. Agaçant. Mais c’est le problème du groupe car je vous rappelle qu’un groupe ça commence à deux. Et ces deux-là, petit à petit, elles construisaient une oeuvre. D’un genre que je n’aime guère. Niveau zéro de la sensibilité. Si encore elles s’étaient arrêtées à ces explications en question… mais non. Il fallait aller plus loin.
Lors d’un moment émotionnellement fort qui venait de saler mes joues, j’aperçois que la plus proche de moi fouille dans son sac. Des bruits de plastique. Je me dis enfin elles pleurent, elle cherche des mouchoirs, il y a une part d’humanité en elles !Alleluia ! Tout n’était donc pas perdu ! Je retrouvais une partie de mon optimisme, de ma foi en l’être humain. Je le note parce que c’est rare.
Des mouchoirs ? La bonne blague ! Oh que non ! Bien mieux que ça : des … CHIPS ! Là tu as l’impression de nager en plein délire. Tu ne peux plus te laisser aller à tes émotions, impossible. Les Scrounch et autres Scruntch - je tente de mimer en mots ce crime absolu afin de rendre ce récit vivant et vous mettre ces sons magnifiques dans les oreilles - prenant toute la place.
Tu tentes d’excuser ça par une hypoglycémie (finalement je suis moins misanthrope que je le croyais) et dans 5 minutes ce sera terminé. Non non, elles ont fini le paquet. Sans se presser. J’imagine que ça devait être des chips de grande qualité. Ça s’apprécie.
Qui a dit ou écrit que les femmes avaient naturellement du tact, de la sensibilité ? En effet il est très urgent de dégenrer les choses ! Parce que ces deux connasses auraient mérité de bouffer le plastique des chips ! COMMENT FAIT-ON POUR SE GOINFRER DES CHIPS DEVANT CE GENRE DE FILM SUBTIL QUI NE FAIT PAS DANS LE GROS SON ET MÉRITE LE SILENCE…? Je m’énerve pas Madeleine, j’explique aux gens*.
Le mystère pour moi reste entier. Comment peut-on en arriver là ? À ce degré de consommation sans se préoccuper de ce qui se passe autour ? Là encore je n’ai pas réussi à intervenir, à leur dire vous réalisez à quel point vous nous emmerdez avec vos fréquences parasites insupportables ??? Et moi j’ai rien dit. J’ai subi. Étais-je seul à ressentir ça ? Cette exaspération ? Le con, ou la conne ici en l’occurence, se subit. C’est comme ça.
Pourtant, agacé de cette perturbation sur la dernière demi-heure du film, j’ai pu être rassuré avant de partir. Devant moi, un couple en train de se serrer fort… Elle, effondrée, vaincue par ses émotions, lui, essayant de la consoler… Ouf, je n’étais pas seul !
Une petite dernière pour la route ? Ce couple venu s’installer au premier rang, tranquillou, à 25 minutes de la fin du film… Avec des Pop-Corn. Ben oui, un bonheur ne vient jamais seul. Pour réaliser trois minutes plus tard que ce n’était pas la bonne salle… Confondre des extraits avec ce qui se passait sur l’écran à ce moment là dans un cimetière… pas mal.
Suite à ce fait-divers personnel, je me suis posé cette question : qu’est ce qui fait qu’au DIAGONAL ou à l’UTOPIA, cinémas indépendants, classés Art et Essai, je n’ai jamais été confronté au problème des chips ??? Alors qu’au CGR ou au GAUMONT, cette probabilité popcornienne est beaucoup, beaucoup plus forte…
Trop de culture ou de sensibilité annihile toute pulsion de chips ? C’est une hypothèse. J’envisage une thèse sur le sujet. L’hypo je la leur laisse.
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Photo ©letourbillondelavie-lefilm
*Vous l’avez la ref ? Coluche évidemment. Et je me rends compte que d’écrire la ref ça m’énerve encore plus... mais à un point que vous n'imaginez même pas... ce temps qu’on n’a plus même pour dire les mots en entier !!! Je m'énerve pas Madeleine...