DIVERTIMENTO, HASARD MAGNIFIQUE

© Guy Ferrandis

DIVERTIMENTO c’est le dernier film de Marie-Castille Mention-Schaar qui avait déjà réalisé LES HÉRITIERS en 2014. Deux productions tirées d’histoires vraies avec un thème commun : cette lutte pour l’ascenseur social, l’égalité, la mixité, l'accès à la culture. Tout un programme. Dans le plus récent on assiste au combat, car c’est un, de Zahia Ziouani pour devenir chef d’orchestre. Et dans l'autre, le scénario s’était largement inspiré d’Anne Anglès, prof d'histoire-géo au lycée Léon-Blum de Créteil, qui avait amené sa classe de seconde (la plus faible de l’établissement) en finale du Concours national de la résistance et de la déportation.

Ce samedi matin, un peu sonné par mon concert de la veille, je vois qu’à la première séance il y a ce DIVERTIMENTO. 11h15. Parfait. Pas un blockbuster cette fois dans cette salle de 300 places. Je me doutais que le climat serait plus serein que pour BABYLON (pour tout savoir de mes déboires cliquez par ici). Avec une quinzaine de personnes au rendez-vous, on n’était pas les uns sur les autres. Pas trop. Idéal pour profiter du moment, de ce grand écran, du son.

Réjouissant, touchant, vibrant, lumineux ! Évidemment beaucoup de musique dans ce film. Mais aussi de magnifiques dialogues. Parfois durs, violents, avec cette différence de classe qui ose l’arrogance. Qui s’autorise tout finalement. En même temps quand on a tous les pouvoirs, difficile de résister à la tentation n’est ce pas ?

Elle m’a fait chavirer cette histoire. Ces deux soeurs jumelles solidaires contre vents et marées. Cette famille d’origine algérienne qui dans sa volonté d’intégration a poussé le curseur jusqu’à ne pas apprendre la langue arabe à ses enfants de peur que ça ne vienne perturber leur développement intellectuel ! Un père à l’écoute de France Musique et France Culture dont l’un des principaux soucis était d’acheter un disque dès que ses finances le permettaient. Zahia et Fettouma ont donc grandi au milieu de symphonies. Apprendre. Encore et encore à travers les notes, les livres, les mots. L’ascenseur social était conséquent mais cette famille-là lui a donné un joli coup de pouce. Au hasard aussi.

Et à propos de hasard j'en ai aperçu un qui m’a presque troublé pendant cette projection. Parce que je repensais à la veille, à ce concert organisé par la Maison pour Tous Albert Dubout et l'association de quartier AJC. Déjà, l’accueil fut monumental d’énergie positive, ce qui n’est pas si commun. Mais surtout, moi qui pratique la chanson française « qui s’écoute » (non pas que le reste ne s’écoute pas, n’y voyez là aucune prétention, juste un fait avec ce minimalisme musical, ces ambiances acoustiques), j’ai vécu une première. En 15 ans ça me m’était jamais arrivé ! À tel point qu’au moment de démarrer le spectacle derrière mon piano, je me suis dit « là mon gars ce soir c’est quitte ou double ! ». Salle pleine à craquer. Et c’est peu de le dire. Une jauge largement dépassée. Moi qui aime me balader dans la salle sur une ou deux chansons, ce vendredi j'étais dans Mission Impossible ! Sauf que Tom Cruise lui, il aurait réussi évidemment.

Et là vous vous dites putain le mec en 15 ans il avait jamais joué devant une salle comble ou quoi ? C’est ça, sa première expérience ? Et c’est quoi le rapport avec DIVERTIMENTO ? J’y viens j’y viens. Je pourrais même m’amuser un peu en laissant ce papier en suspens et vous proposer de deviner… 

Je vous explique. Dans 90% des cas (chiffre totalement arbitraire et probablement sous évalué mais qui donne une idée) le public des concerts Chanson a les tempes grisonnantes. On peut même pousser le curseur de la caricature jusqu'à classe moyenne (de gauche), tendance bobo. Parfois il arrive que la population rajeunisse un peu mais les brebis galeuses sont là par hasard ou parce qu’on les a fait venir de force (j’exagère un tantinet mais j’aime bien exagérer) ou ils sont là pour d’autres raisons mais le concert fait partie du Pack. Je ne vous cache pas que c’est le gros point positif de ma catégorie artistique, car même avec un âge qui s’éloigne de mon adolescence, je suis toujours ou presque le plus jeune de la salle quand je chante !!! Et ça c’est quand même très bon. Sinon y’a longtemps que je me serais mis au rap. Un poil plus tendance.

Sauf qu'hier soir, tous mes repères s’étaient envolés ! Des jeunes (pas avec leurs parents je veux dire), des enfants avec leur mère (même deux nourrissons, peut-être pourrai-je m’enorgueillir de rester ad vitam aeternam leur premier concert ?), des tempes grisonnantes aussi rassurez-vous, le monde ne s'est pas encore effondré à ce point, mais surtout un éventail de la société très vaste ! Très très vaste. Jamais je n’avais joué dans une telle mixité sociale ! Je dirais que plus de la moitié de la salle n’était pas un public « chanson ». Tendance agité, mais juste comme il faut pour rendre cette soirée incroyable. À part. Elle l’était déjà pour d’autres raisons, mais celles-ci je les garde pour moi. Ou pour plus tard.

Alors en fin de soirée, en discutant avec toute cette belle équipe, on a reparlé de ça. De ce pari qu’ils avaient fait d’oser ma proposition intimiste dans ce quartier populaire. Voilà le genre de boulot utile, salutaire, qui demande une énergie folle ! Tenter la culture, semer un truc ou deux là où ça pousse moins facilement. Chapeau.

Forcément ce matin, devant cette fille, cette femme devenue chef d’orchestre malgré tous les vents contraires (faut dire qu’elle cumulait : son origine sociale, les cités du 93, sa féminité dans ce milieu ô combien conservateur pour le mâle blanc dominant), j’ai repensé à ces enfants d’hier soir, ces ados légèrement agités (doux euphémisme) mais qui au moins le temps d’un concert étaient là, avec moi, avec mes émotions. Ils ont même découvert Jean-Paul Sartre. C’est pour dire le niveau de ce spectacle. Et la beauté du hasard.

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PHOTO : Copyright Guy FERRANDIS - 2022 ESTELLO FILMS - EASY TIGER - FRANCE 2 CINÉMA - Avec Zahia Ziouani (la vraie !) et Oulaya Amamra qui joue son rôle dans le film // Tous les interprètes sont d'une justesse implacable dans ce DIVERTIMENTO //