T'AS L'AIR HEUREUX !
Le vélo c’est un pan de ma vie. Un très grand pan. Avec deux roues celui-là. Je peux même foncer tout droit dans un lieu commun : tout p'tit déjà etc.
De 1986 à 2012, j’ai dû accrocher environ 900 dossards sur mon dos, à droite ou à gauche suivant la place du podium à l’arrivée. Au bas mot 3600 épingles à nourrice pour tenir ces n°13, 8, 134 ou 51. J’ai bien dû en utiliser plutôt 4500 de ces épingles parce que j’étais d'un genre maniaque obsessionnel : maillot et dossard devaient ne faire qu’un ! Détail essentiel. Ne sentir aucune gêne. Que cette accroche soit si parfaite que le vent ne puisse avoir la sienne...
L’année de mes 40 ans, 3 jours après cet anniversaire charnière, je participais à une compétition. La dernière. Je l'ignorais sur la ligne départ. L'évidence est arrivée pendant la course. Plus rien n’avait de sens. Plus envie de me faire mal. Et surtout pourquoi je continuais ? Pour qui ? Qu’est ce que je cherchais encore au milieu de ce peloton ? J’avais gardé un niveau très honnête mais le ressort était cassé. Et comme je suis un garçon entier, juste après l’arrivée j’ai dit à mon entourage : c’est terminé. Ils ne m’ont pas cru évidemment. Mais moi je savais.
Alors mon vélo est resté suspendu quelques années. J'imaginais ne jamais remonter dessus.
Sauf que ce corps lui, il n’avait connu que ça. Le sport à haute dose. Pour vous donner une idée, lors de mes années fastes, je pouvais faire plus de 1500 kms par mois (entrainement + compétition), ce qui vous donne une idée de l’habitude. Alors je m’étais mis au Running* pensant que ça comblerait le manque. Plus simple, moins coûteux, gain de temps considérable en terme d’efficacité. Sauf que c’était pas mon truc. Un pis aller comme on dit mais aucun plaisir. Avec pour seul objectif celui de la dépense physique. S’entretenir. Ne pas laisser rouiller ce corps.
Puis l’été 2018, après 6 ans d’arrêt, je ne sais pas pourquoi mais un samedi du mois d’Août je me suis dit « tiens si je tentais de retrouver mon équipement pour aller faire un tour sous le soleil… voir ce qui se passe… »
LA révélation.
Au bout de 3 kms en direction des plages, oui pas très envie d'aller défier le Ventoux immédiatement : je souriais ! Me disant « ben oui c’est ça ton truc ! Tu peux essayer de lui tourner le dos à ton vélo, de faire comme si tu pouvais t’en passer, lui il t’oublie pas : c’est ton élément ! »
Alors j’ai repris l’entrainement plus sérieusement, avec l’idée de remonter des cols l’été d’après, car le plus grand des plaisirs que je connaisse c'est... rouler en montagne ! Un sentiment de liberté inégalé à ce jour.
Izoard (2362 m) et Agnel (2748 m) : mes premières retrouvailles avec les grands cols en Août 2019. Et comme le premier avec sa Casse Déserte est parmi les plus légendaires de l'histoire cycliste (Fausto Coppi et Louison Bobet y ont même leur stèle commémorative. Je laisse les non spécialistes de la discipline faire des recherches sur le net pour en savoir plus sur ces 2 monuments), il y a des photographes sur les deux versants. Ils prennent des clichés de tous ces corps pédalants avant de donner leur carte avec leurs coordonnées. Suffit en rentrant d'aller sur le net, de cliquer, de choisir et d'acheter ce souvenir. Notez que ma dépense fut assez minimaliste puisque j'ai juste fait des captures d'écrans avec le logo et la basse définition qui empêchent toute reproduction ! Toutes mes excuses à l'auteur. Je voulais juste faire le malin avec mes enfants. Et comme je n'avais pas mieux pour illustrer mon propos, j'ai entravé l'une de mes règles sur les droits. J'espère que Dieu me pardonnera.
J'ai envoyé quelques unes de ces captures à Camille. Qui, dans un premier temps s'est enthousiasmé : "Mais Papa t'as quelqu'un qui t'as pris en photo ???? Ils t'ont reconnu ???" Euh... non non, tout le monde y passe. Tous les anonymes du deux roues. Aucune gloire personnelle à en tirer. Mince j'aurais dû lui faire croire que "Oui bien sûr qu'on m'a reconnu Camille ! T'en doutais ? Qui c'est le plus fort hein ? C'est ton père !"
Mais c'est sa deuxième réaction qui m'a interpellé.
"Elle est géniale cette photo ! T’as l’air heureux !"
J'ai relu plusieurs fois ce SMS. Surtout ce mot, heureux. Ce qui se dégage de nous et qu'on ne maîtrise pas. Pourtant, à cet instant, je venais de faire mon deuxième Izoard de la journée. J'étais redescendu côté nord vers Briançon. Mais comme je logeais à Saint-Véran fallait forcément faire demi-tour et remonter le versant sud (vieille technique à l'ancienne qui consiste à s'éloigner au maximum pour n'avoir aucune possibilité de raccourcir la sortie ! On se met au pied du mur, pas le choix. En l'occurence ici le mur était assez haut). Alors quand ce photographe a appuyé sur le bouton, à environ 1 km du sommet, je peux vous dire que je n'étais pas frais du tout... du tout... en plus je savais qu'après la descente il me resterait cette remontée vers la commune la plus haute d'Europe (2042 m) ! Pourtant regardez mon visage... Tout est dit.
Je ne l'ai plus observée pareil cette photo après l'enthousiasme de ma fille. J'ai essayé de la scruter avec son regard. Et elle avait fichtrement raison : en effet j'avais l'air heureux. L'air, c'est déjà beaucoup ! À l'intérieur je le savais, je la vivais cette joie intense des retrouvailles ! Mais j'ignorais le perceptible pour les autres. Comment c'était cette pub déjà ? Ce qu'il fait à l'intérieur se voit à l'extérieur ! Oui ça y est, je l'ai, je me souviens. Le Bifidus Actif ! J'avais dû manger un yaourt ce matin là. Peut-être. Mais ça m'étonnerait puisque ça fait des années que les yaourts se font rares dans ma vie. On fait un break eux et moi.
Évidemment je ne m’attarderai pas sur la suite de nos échanges qui montrait une incompréhension certaine face au défi d'un double Izoard la même journée avec en guise de dessert cette troisième ascension ! Je pourrais tenter de vous raconter ce qui se passe dans ces moments. Vous dire les odeurs, les sensations, les émotions, la liberté, l'effort et sa récompense, monter encore et encore, les paysages qu'on ne verrait pas d'une autre façon, ce plaisir du dernier km même complètement cuit, atteindre le sommet, découvrir l'autre côté quand on bascule et que tout s'ouvre comme au cinéma, les températures qui changent, les couleurs, ce sentiment de solitude, être à sa place dans la nature, dans l'immensité d'un décor, etc. Une sorte de transe finalement. Physique et mentale. Non, je ne vous raconterai pas ce genre d'extase. Qui pourrait vous donner des idées.
Tout petit déjà donc. Et le temps après. On ne s'en échappe pas de là où on vient.
//////////////////////////////////////////////
"Sa vie on ne la refait pas, c'est juste l'ancienne sur laquelle on insiste." - Serge JONCOUR - L'AMOUR SANS LE FAIRE
///////////////////////////////////////////
*Qu'est ce qui m'a donc poussé à me remettre au sport ? Voici l'anecdote.
Lors de ma dernière année d'enseignant j'ai eu la chance avec mes collègues de faire une classe verte en Lozère. Très bon moment ! Si vous suivez ce blog vous connaissez maintenant mon affect pour ces parenthèses communautaires loin du train train quotidien. Le premier jour, en rentrant d'excursion, on laisse les gamins jouer dehors sur la pelouse avec un ballon. Rapidement un match de foot s'organise. "Maître Maître tu viens jouer avec nous ?" Ooooh... l'une de mes dernières occasions de replonger en enfance et en contexte ! J'arrrrriiiive ! À cet instant il est bon de préciser que je n'avais plus eu aucune activité physique depuis 19 mois... Vous allez comprendre l'intérêt de ce détail. Forcément je me suis amusé comme un fou. Eux aussi, ravis de découvrir que j'étais un peu comme eux. Alors d'enthousiasmes en euphories, j'ai commencé à traverser le terrain avec le ballon, en dribblant, bref, je faisais le malin. Et à moment, après un sprint, impossible de récupérer. De récupérer comme le sportif que j'étais. Celui d'avant. Tout me brûlait. La gorge, les muscles. Je soufflais comme un boeuf. Pas de récupération même après quelques minutes... Jamais de ma vie je n'avais connu ça ! Jamais. Habitué à pousser mon corps dans ses retranchements, le coeur faisait toujours le job. Là terminé. Alors ce soir-là, dans ma chambre, en boitant et grimaçant avec cette trachée toujours douloureuse je me suis dit : soit tu te remets vite au sport et tu pourras encore envisager quelques fantaisies cardiaques et musculaires, soit tu lâches l'affaire et à bientôt 42 ans tu pourrais dire adieu à certaines activités qui t'ont donné pas mal de plaisir et d'épanouissement ... Voilà. Vous savez tout. Pourquoi la paire de baskets.