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MA VIE C'EST UN PEU ÇA !

Chopin Nocturne E Flat Major Op.9 No.2

30 Janvier 2023, 11:12am

Publié par Guillaume

Chopin Nocturne E Flat Major Op.9 No.2

Nîmes, fin 1993. L'année de préparation au concours du Professorat des Écoles. C’était le début des I.U.F.M. après l’École normale. Avant on disait Instituteurs et Institutrices, mais depuis 1990, on était devenu.e.s des Professeurs des écoles. Beaucoup plus pompeux. Histoire de revaloriser la fonction parait-il. Alors que le salaire aurait suffit. J’aimais beaucoup moins ce nom. Alors quand on me demandait ce que je faisais, je répondais Instit’ ! Chez certain(e)s de mes collègues il était important ce mot Professeur. Comme un complexe. Une vieille rivalité avec le secondaire. Fallait montrer qu’on était aussi forts quoi. Que c’est pas parce qu’on bossait avec des petits qu’on bossait moins que c’était plus simple et tout et tout ! Non mais.

Mais je m’égare. 

Elles sont particulières ces années de préparation à un concours. Il y a une certaine excitation dans les groupes qui se forment. L’espoir est dans toutes les têtes. Mais rapidement tu prends conscience que l’année suivante, après l’entonnoir, il restera dix pour cent de nous… C’était le chiffre à l’époque, autour de 2200 candidats en Languedoc-Roussillon pour 220 places si mes souvenirs sont bons. Donc dans mon groupe de 25, je vous laisse faire le calcul mais ça allait écrémer, faire disparaître de notre petit monde pas mal de gens avec qui on se sentait bien. 

On n’avait pas tous les mêmes raisons d’être là. Et ça c’était passionnant. Moi qui sortait d’une licence de sociologie je regrette de ne pas avoir réalisé à cette époque quelques entretiens pour garder une trace de ces voix, de leur parcours, de leur histoire. Presque 30 ans plus tard, je crois que je les réécouterais ou les relirais avec énormément de plaisir et de curiosité.

Y’avaient celles et ceux qui étaient à leur place. Qui savaient clairement que ce choix était le bon. Du moins à cet instant de leur vie. On les voyait foncer. Tout droit. La catégorie "Jules Ferry c’est un peu mon père"Puis y’avait les autres. La catégorie des "faut bien choisir un avenir alors pourquoi pas celui-là ça en fera déjà un". Moi j’étais dans cette équipe évidemment. M’a fallu pas mal de temps pour comprendre ce choix. Vous le lirez par ailleurs dans une autre nouvelle ou qui sait peut-être un jour dans un bouquin, mais mon envie, mon vrai fantasme professionnel c’était le cyclisme. Alors forcément tous les autres choix que j’aurais pu faire l’auraient été par défaut. Ce fut donc le cas avec cette tentative de professorat. J’avais choisi la voie maternelle (son rêve inachevé pour être plus précis).  

Et comme dans tous les établissements que j’ai fréquenté, moi le sage (pas en tant que membre de l'Académie Bouddha non, plutôt le garçon qui fait tout comme il faut pour être raisonnable), j’étais attiré par la différence. Les non-conformistes. Le truc qui dépasse quoi. 

Dans notre promo y’avait un ovni. Je me souviens plus de son prénom. Dommage parce que j’aime bien me souvenir des prénoms (la preuve par ici). Lui c’était une sorte de dandy citadin. On savait pas trop ce qu’il faisait là. Il n’était pas dans mon groupe. Je le croisais à la cafétéria. Et dans cette cafétéria y’avait un piano droit. À cette époque jamais je n’aurais osé y toucher parce que mes compétences musicales remontaient à trop loin. Mais comme à chaque fois que j’aperçois cet instrument dans une pièce, et c'est toujours le cas, je ne vois que lui dans un premier temps. Avec 3 questions en tête : comment il sonne ? Est ce qu’il est accordé ? Et si j’y touchais ?

Un midi, notre ovni s’est dirigé vers le piano. Moi je n’ai vu que ça. Il allait se passer un truc. Il s’est assis, a soulevé le couvercle. Et sans rien dire, aucune annonce, il a joué. Mais pas le gars qui plaque deux accords pour faire le malin, ce que j'attendais un peu pour être honnête. Non, le gars qui fait le malin avec Chopin… Mon graal ! Il aurait pu se passer n’importe quoi autour j’aurais continuer de l’écouter. Surtout, je ne comprenais pas comment ils faisaient les autres qui poursuivaient leurs discussions tout en volant une note ou deux par-ci par-là pendant leurs silences trop courts ! J’étais déjà sensible aux mélodies de Chopin. À son romantisme. Ah ces valses ! Les nocturnes je connaissais moins. Mais celui qu'il interprétait oui, plus que les autres. Après ce jour il est resté gravé, c’est devenu mon favori. J’y reviens très souvent. Jamais réussi à le jouer. Jamais essayé non plus, ce qui limite les chances d’y arriver. Mais faut être humble je n’ai pas la technique. Lui l’avait. Il jouait ça facilement et dans mon souvenir son interprétation était tout en sensibilité. Mettre de la poésie, de l’élégance là où on ne l’attend pas. Tout un art.

Après cette parenthèse j’ai commencé à lui parler plus souvent. De musique évidemment. Puis quand on se croisait on était moins étrangers qu’avant cet Opus 9 N°2. Mais il était très clair sur sa situation. Il était avec nous parce que ses parents voulaient qu’il soit instit’. Lui il s’en foutait à un point !!! J’étais admiratif de cette désinvolture. Envieux aussi probablement. Je ne sais même pas si je vais passer le concours ! Là je pensais qu’il bluffait. Qu’il faisait vraiment le malin. Parce qu’il venait d’un milieu bourgeois, sans chercher à le cacher. Ça avait l’air de l’emmerder cette appartenance, ces codes à respecter. Une réputation c’est important. 

Il me fascinait. Tout avait l’air d’être simple pour lui. Pour ce qu’il en montrait en tout cas. Un jour il m’avait invité à une fête chez lui. On était plusieurs à être conviés. Mais il avait une réputation sulfureuse. J’ai entendu pas mal de trucs, et comme j’étais un gars sérieux (bien trop !) j’y suis pas allé. Peur d'affronter un autre monde que le mien. Aujourd’hui j'ai des regrets évidemment. Parce que bien ou pas, cette soirée je pourrais vous en parler. Avec des anecdotes de folie, qui sait ? 

Puis en cours d’année scolaire, à quelques semaines de l'échéance, il n’est plus venu. On l’a plus revu. Il n’avait pas bluffé. Je revois juste sa silhouette, ses cheveux bruns en bataille, son sourire et ses mains sur ce piano.

En face de l'I.U.F.M. y’avait la légion étrangère. Alors parfois, en repartant vers mon appartement, en marchant, je me demandais ce qui se passerait si un matin au lieu de tourner à droite vers une destination Normale, j’allais explorer la vie de légionnaire… Si je décidais moi aussi de ne pas y aller à ce concours... À quoi ça ressemblerait ? Est ce que je pourrais tenir plusieurs jours ? Est-ce qu'ils voudraient de moi avec ce physique impressionnant ? Est ce que je ferais carrière ? Si ça se trouve en uniforme je me serais révélé ? Un autre homme, une renaissance ! Mystère. Puis maintenant c'est un peu tard pour essayer.

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I.U.F.M. = Institut Universitaire de Formation des Maîtres

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En photo je vous laisse admirer ce diplôme que je n'ai plus (notez l'orthographe de mon lieu de naissance... je n'avais jamais vraiment lu ce document : l'horreur ! Affreux ! Ce "i" en moins... BRESSURE, n'importe quoi) ! Enfin, je l'ai encore entre les mains oui, mais il a perdu toute sa valeur. Quand on démissionne, on tire un trait dessus. Du jour au lendemain on perd toute compétence, toute légitimité d'enseigner. Un concept qui m'a toujours fait sourire. Sauf quand on me dit "ben c'est normal t'a démissionné !" Certes. Mais tu peux m'en citer beaucoup d'autres des professions qui fonctionnent ainsi ? Vas-y, je t'écoute. 

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M
Je me demande souvent ce que sont devenus un tel ou une telle. Comment les retrouver ? Et puis, est-ce qu'on aurait encore des choses à se dire ? Chacun a vécu des choses de son côté, a évolué, peut-être différemment de nous. Que resterait-il de notre amitié ?
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